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MÉNÉDÈME.

Je vous ai écouté avec attention, et je commence à voir quel est le but de votre récit. Vous voulez me prouver que l'homme n'est heureux que lorsqu'il soumet ses desirs à la raison, et qu'il jouit de sa propre estime et de l'estime publique.

THEOPHRASTE.

Vous avez saisi ma pensée, et je n'ai plus rien à vous dire: Suivez l'exemple de Lycomède. Il s'établit dans Athènes avec ses deux protecteurs; soutenu par leurs conseils, il se distingua dans la carrière des armes et dans les fonctions civiles dont il fut chargé. Il étoit bienfaisant, il trouva des amis fidèles; son esprit étoit éclairé, et le goût des arts embellit ses loisirs. Croyez-vous que les plaisirs qu'il goûtoit en cultivant les affections domestiques, en présidant au bonheur de Lasthénie et à l'éducation de ses enfans chéris, fussent moins vifs que les coupables voluptés dont il avoit enivré les premières années de sa jeunesse. Il aimoit et il étoit aimé. Son sommeil n'étoit ni appesanti par les suites de la débauche, ni interrompu par l'inexorable remords. La douce paix habitoit sa maison, et il étoit récompensé de ses vertus par la considération publique et par l'amour des siens. Ly

comède et Lasthénie sont parvenus tous les deux à une vieillesse exempte d'infirmités et de soucis; et le fils d'Archelaus répète quelquefois à ses enfans cette maxime d'un sage: « Pour être heureux, il faut vivre en paix avec les autres, et surtout avec soi-même. » (1)

Ici finit le dialogue de Théophraste, ce qui me fait présumer qu'une partie en a été détruite par le temps; car il n'est pas naturel d'imaginer que Ménédème eût ainsi quitté brusquement Théophraste sans le remercier de ses conseils. Quant à l'épisode de Lycomède et de Lasthénie, il est écrit d'un style trop précis et trop dénué d'ornemens. La raison y parle un langage trop simple. L'auteur auroit pu y introduire de longs discours et de superbes descriptions, telies que des tempêtes, des levers du soleil et des clairs de lune qui auroient réjoui le lecteur. Quel dommage que Théophraste n'ait pas vécu dans notre siècle !

Ces considérations m'auroient déterminé à supprimer ce dialogue, si, d'un autre côté, je ne savois qu'il existe encore un petit nombre d'hommes qui aiment la raison et la vérité.

(1) Je crois avoir lu cette phrase dans les Essais de Montaigne. Comme il étoit grand admirateur des anciens, il connoissoit peut-être le manuscrit dont il est question.

(Note de l'Editeur.).

Il faut leur pardonner ce goût singulier qu'on peut aussi reprocher aux écrivains du siècle de Louis XIV: il ne faut pas même craindre que leur exemple devienne contagieux; les brillans succès de quelques écrivains modernes doivent nous rassurer sur ce point.

CHAPITRE XI.

Préface.

PARMI les hommes de lettres dont je cultive la connnoissance, il en est un que je vois toujours avec plaisir, parce qu'il réunit à un talent estimable des qualités qui deviennent malheureusement trop rares de jour en jour. Il n'a ni cette morgue qui sert de voile à la médiocrité, ni cette fausse modestie qui n'est que le déguisement de l'orgueil, et ne dédaigne point de s'abaisser à de honteuses sollicitations et à des manœuvres clandestines pour obtenir des succès éphémères. Il n'appartient à aucune secte, et rend justice aux hommes qui montrent du talent, quelles que soient leurs opinions politiques ou religieuses. D'ailleurs, il donne beaucoup de temps à l'étude, et nourrit son âme de pensées nobles et de sentimens élevés. Il est fidèle en amitié sans être la dupe des faux amis; et il n'a d'autre ambition que celle d'être utile à ses semblables, et de faire aimer la vertu et la vérité.

Cet homme, dont le nom est Derville, vient de finir un ouvrage où il développe les principes d'une philosophie douce et tolérante, dont il a fait la base de sa morale, et ce qui vaut mieux encore, la règle de ses actions. Je l'exhorte quelquefois à le donner au public; mais il me paroît embarrassé sur la manière dont il arrangera sa préface ou son introduction. Comment dois-je m'annoncer, me disoit-il, il y a quelques jours, au milieu de ce peuple d'auteurs qui s'affligeront du succès de mon ouvrage, si par hasard il réussit, et surtout de ces critiques de profession qui se dédommagent des ménagemens qu'ils ont pour leurs amis et pour les créatures de leurs amis, en déchirant les productions d'un écri vain qui ne veut être protégé que par sa franchise et par son talent.

Je crois que vous exagérez les difficultés de votre position, répondis-je à Derville. Parmi les critiques dont vous parlez, il en est plusieurs qui ne méritent point le reproche trop général que vous leur faites. Il est tout simple qu'ils ménagent ou leurs protecteurs, ou les personnes avec lesquelles ils sont liés d'intérêt ou d'affection; mais il est rare qu'ils cherchent à tromper le public sur un ouvrage véritablement digne d'attirer son attention. J'en connois même quelquesuns dont la conscience littéraire est plus incor

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