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ruptible que celle de la plupart des auteurs qui se plaignent de la sévérité de leurs jugemens. Je pense donc que vous avez peu de chose à craindre de leur part. Si leurs critiques sont justes, vous en profiterez; si elles sont injustes et passionnées, vous en serez vengé par l'opinion des connoisseurs, et vos succès n'en seront que plus solides. Quant à vos confrères en littérature, je ne partage vos terreurs que jusqu'à un certain point. Les hommes qui ont un mérite réel vous applaudiront s'ils jugent que vous méritiez leurs éloges. Il est vrai que si vous prenez un essor trop élevé et que la voix publique vous place dès votre début au nombre des écrivains dont le siècle peut s'honorer, vous verrez se soulever contre vous cette multitude d'auteurs médiocres, amans maltraités de la gloire, qui regardent d'un œil d'envie les hommes dont ils sont forcés au fond de leur cœur de reconnoître la supériorité. Si vous attachiez du prix à leurs suffrages, il faudroit vous maintenir dans cette honnête médiocrité qui n'effarouche aucun amour-propre, et ne blesse aucune prétention: alors, vous seriez cité par eux avec honneur; on vanteroit surtout vos qualités morales; car il en est des hommes de lettres comme des filles à marier: quand les premiers manquent de talent, et les secondes de grâces et de beauté, on dit des uns et des autres qu'ils

ont un excellent caractère. Ceux qui ne déguisent point leurs sentimens de haîne sont les moins à craindre; mais les autres, je veux dire les envieux honteux de l'être, ou plutôt de le paroître, vous jouent des tours perfides. Ils vous accablent de louanges exagérées, lorsque vous pouvez les entendre; mais ils ne manquent jamais de vous déchirer dans leurs petites cotteries. Quoi que vous fassiez, vous n'échapperez point à leur censure; c'est un malheur dont il faut vous consoler d'avance; et Dieu veuille qu'ils ne descendent pas jusqu'à la calomnie. Vous en éviterez avec peine les cruelles atteintes, si l'on peut soupçonner que vous êtes indépendant et heureux.

A ces mots Derville sourit. Il me vient, dit-il, une idée bizarre: je ne veux point vous la faire connoître aujourd'hui; mais je vais travailler à ma préface, et je vous verrai dans quelques jours.

Hier il me tint parole, et m'apporta cette préface que je lus avec plaisir. Qu'en ferez-vous? lui dis-je. Je vous l'abandonne, me répondit-il: après de mûres réflexions, j'ai renoncé à la fantaisie de publier l'ouvrage dont je vous ai parlé ; je ne veux pas risquer mon repos pour une célébrité douteuse qui ne me rendroit ni plus sage ni plus heureux. Faites ce que vous voudrez de cette plaisanterie ; elle n'a peut-être d'autre mé

rite que

celui de ne pas ressembler à ces préfaces banales, où l'auteur s'efforce de paroître modeste, et réussit parfaitement à montrer la bonne opinion qu'il a de lui-même, et l'inquié tude d'un orgueil qui redoute les yeux clairvoyans de la critique.

Préface.

Comme je m'attends à réunir les suffrages des hommes de goût, et que mon livre doit être nécessairement placé sur toutes les toilettes de Paris et dans toutes les bibliothèques de l'Europe, je crois déjà voir une foule d'ennemis connus et inconnus, se soulever contre ma gloire, et me rendre personnellement responsables de mes succès littéraires. Pour prévenir ce malheur, dont l'idée seule me cause un effroi mortel, je déclare à tout l'univers que ce n'est pas moi, Jean-Nicolas Derville, qui suis le père de mon ouvrage, et que je l'ai trouvé tout fait dans un vieux manuscrit de la Bibliothèque impériale. Je suis prêt d'ailleurs à faire afficher dans tous les lieux publics et carrefours de Paris, que je ne suis pas heureux. Afin donc que l'envie sache à quoi s'en tenir sur ce point essentiel, et ne me regarde plus comme un écrivain favorisé de la fortune, je recommande les vérités suivantes à l'attention de tous les méchans critiques et de tous les critiques méchans.

1o. Je n'ai point d'amis qui se fassent un devoir de me produire dans le monde, d'annoncer mes chefs-d'œuvre, et de solliciter pour moi les éloges des journalistes. On ne me vit jamais en habit de velours, l'épée au côté et la plume au chapeau, attendre dans une antichambre que le patron eût achevé de folâtrer avec sa chienne favorite, ou de converser sérieusement avec son perroquet pour me recevoir du haut de sa grandeur, et m'assurer, en bâillant, de sa très haute, et le plus souvent très inutile protection.

2o. Je n'épouse les passions d'aucun parti; je n'entre ni dans leurs amitiés ni dans leurs ressentimens : j'admire Corneille, Racine et Voltaire, Montesquieu et Bossuet, Pascal et Rousseau, Malebranche et Montaigne; et je mesure mon admiration, non sur l'époque où ils vivoient, mais seulement sur le mérite de leurs ouvrages.

3o. Je ne promène point mon inutilité dans un équipage somptueux; je n'ai même pu parvenir au modeste cabriolet: enfin, quoique je trouve quelquefois le pavé de Paris brûlant, je ne le brûle jamais, et mes jambes un peu grêles me transportent, tant bien que mal, dans tous les lieux où je suis appelé par mes affaires ou par l'amour du plaisir.

Du plaisir! A peine eus-je écrit ces mots, que

l'envie elle-même, au regard louche, au front d'airain, à la voix de pie-grièche, parut devant moi sous les traits de ****, détachant une couleuvre de sa hideuse chevelure. Arrêtez, m'écriai-je, Déesse protectrice de toutes les noirceurs anonymes qui circulent chaque jour dans Paris; arrêtez, et jugez si les plaisirs que je puis me procurer, sont dignes d'allumer votre noble

courroux.

L'habitude me conduit quelquefois dans ces salons où l'ennui manque rarement de se trouver entre l'insipide gazouillement de nos Aristarques imberbes, et le honteux calembour des fournisseurs de Brunet et de Pothier. Là, jamais la raison n'ose élever sa voix; on y trouve peu de décence dans les manières, peu d'urbanité dans les conversations. Les femmes mêmes y sont à peine respectées, et la vieillesse n'y conserve aucune autorité. L'honnête homme fatigué garde le silence, et la sottise y triomphe impunément. Si je veux me préparer les douceurs d'un profond sommeil, j'ouvre au hasard quelquesuns de ces poëmes en prose et de ces romans historiques dont la littérature française s'est appauvrie depuis quelques années, et qui vont ensemble, au fond du Léthé, rejoindre cette foule de poésies vraiment fugitives, de drames masqués du titre de comédie, de discours acadé

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