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dame sourit à ces mots, et nous fit une révérence gracieuse, à laquelle nous répondîmes par les complimens d'usage. Duhamel ne savoit que penser de cette aventure; et le major luimême, surpris de l'assurance de Kerkabon, se tenoit sur la défensive. Il se contenta, pendant le diner, de lâcher indirectement contre les philosophes amoureux quelques traits auxquels personne ne parut faire attention; ce qui le déconcerta un peu.

Notre nouveau convive se retira de bonne heure. Après son départ, Kerkabon nous dit : Mes amis, je vais vous raconter une histoire que vous trouverez peut-être fort peu intéressante, mais qui vous instruira de mes rapports avec madame le Sueur. Vous la verrez souvent chez moi, et il est convenable que vous la connoissiez. Ce préambule excita notre attention; et nous gardâmes le silence.

KERKABON.

Je me trouvois à New-Yorck en 1793. Me promenant un jour sur cette belle esplanade qu'on nomme la Batterie, je m'arrêtai à considérer les manœuvres d'un vaisseau qui entroit dans le port. La chaloupe de ce vaisseau s'avançoit vers le rivage à force de rames; et je me rendis au point de débarquement, ainsi que

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plusieurs autres personnes entraînées comme moi par un motif de curiosité. Nous apprimes que cette chaloupe, remplie de passagers, appartenoit au bâtiment la Vénilia, qui revenoit de Saint-Domingue. Ces passagers étoient pour la plupart de malheureux Colons échappés à la fureur des Noirs. Ils se félicitoient d'être arrivés aux Etats-Unis, et saluoient avec transport cette terre hospitalière, où règnent la justice et l'humanité. On voyoit des familles entières se réunir et s'embrasser en pleurant de joie. Ils se dirigèrent tous vers l'intérieur de la ville. Un seul enfant restoit sur le rivage; c'étoit une petite fille de six à sept ans : assise sur un fragment de rocher, elle avoit l'air d'attendre l'arrivée de quelqu'un. Je m'approchai d'elle ainsi qu'un Américain dont l'habillement et le langage annonçoient un membre de la société des Quakers. Vous attendez votre mère ? dis-je à la petite fille. Non, me répondit-elle en me montrant le ciel; maman est là haut avec papa. Eh quoi! pauvre enfant, reprit l'Américain qui parloit fort bien français, tu n'as personne pour te soigner; comment es-tu venue dans ce pays? J'ai été portée dans le navire par Betsy, répliqua la petite fille; elle est retournée à terre pour chercher mon frère, et je n'ai revu ni l'un ni l'autre depuis ce temps-là. Il faut aller parler au capitaine, dit alors

le quaker; si personne ne réclame cet enfant, je m'en charge, et je la traiterai comme ma propre fille. Non, Monsieur, lui répondis-je, elle est française, c'est à moi qu'elle appartient. Ami, répliqua l'Américain, tu me parois un honnête homme, et j'espère que tu entendras raison. Cette enfant a été déposée par la Providence sur la terre américaine. C'est à mon pays que ses parens ou ses amis ont voulu la confier. Je ne crois pas que tu veuilles m'enlever ce dépôt. Eh bien! repris-je aussitôt, rapportons-nous en à la petite fille elle-même. J'y consens, me dit le quaker. Allons, mon enfant, choisis de nous deux celui que tu préfères, et finissons ce débat. La petite nous regarde avec attention, se lève, et nous prend l'un et l'autre par la main. Je vous choisis tous les deux, dit-elle. Cette naïveté nous fit sourire; et après une assez longue contestation, nous convînmes qu'elle habiteroit la maison du quaker qui étoit marié, et avoit des enfans; que je subviendrois aux dépenses de son entretien et de son éducation, et qu'à l'âge de seize ans, elle seroit libre de passer en France ou de rester en Amérique. Ces conventions faites, M. Barclay, le quaker, emmena la petite fille chez lui, et je me fis transporter à bord de la Vénilia.

Je demandai au capitaine à qui avoit été

confiée une petite fille, qu'on avoit débarquée sur le rivage, et que personne ne réclamoit. Je ne sais de qui vous me parlez, répondit-il; il y avoit beaucoup d'enfans à bord de mon vaisseau, et j'ai cru qu'ils étoient accompagnés de leurs parens ou de leurs amis. L'embarquement s'est fait dans la nuit, au milieu des horreurs d'une ville incendiée et prise d'assaut : j'ai vu moi-même, à la lueur des flammes, une foule de Noirs, semblables à des démons, égorger leurs anciens maîtres dans les rues du Cap Français, et poursuivre ceux qui fuyoient, jusque sur les bords de la mer. Les cris féroces des bourreaux et les gémissemens des victimes sont venus jusqu'à moi. J'ai sauvé tous ceux qui ont eu le bonheur d'arriver à mon bord, soit sur la chaloupe que j'avois envoyée dans cette intention, soit sur les autres bâtimens légers qu'ils ont pu se procurer. Vous jugez bien que dans un tel désordre on ne pouvoit prendre d'information sur ces infortunés. Je les ai tous nourris sans distinction jusqu'à ce jour. Si l'enfant dont vous parlez n'a point de protecteur, je la prendrai chez moi, et je regarde comme une obligation sacrée de ne pas l'abandonner.

Je donnai de justes éloges à la générosité de ses sentimens, et je lui appris en peu de mots ce qui venoit de se passer. J'en suis bien aise,

me dit-il; je connois Barclay, c'est un homme de bien; la petite ne sauroit être mieux placée que chez lui; mais si elle a besoin de secours, elle n'en manquera pas tant qu'il restera un dollar dans ma bourse. Quant à vous, vous m'avez l'air d'un homme d'un bon naturel, a good natured fellow, et je veux que nous buvions ensemble un coup du meilleur rhum qui jamais ait traversé la mer. Je ne pouvois me refuser à une telle marque de politesse; je bus le coup de rhum à la santé du capitaine, et je pris congé de lui, en le priant de me compter désormais au nombre de ses amis (1).

Je me rendis ensuite dans Pearl - Street, la rue de la Perle, où demeuroit l'ami Barclay. Notre petite fille avoit été reçue avec la plus grande cordialité par madame Barclay et ses enfans; je lui trouvai une physionomie agréable, et je lui demandai son nom. On m'appelle

(1) Tous les capitaines américains qui se trouvèrent dans nos colonies à l'époque de leurs désastres ne ressembloient point au capitaine de la Vénilia. Plusieurs se sont déshonorés en enlevant à de malheureux colons les minces débris de leur fortune, et en les abandonnant à toutes les extrémités de la misère et du désespoir. J'ai recueilli là-dessus des anecdotes qui font frémir d horreur. Jetons un voile sur ces turpitudes, et laissons à d'autres la triste jouissance d'exciter l'intérêt par le récit de crimes qui déshonorent l'humanité.

(Note de l'Editeur.)

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