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Susanne, me répondit-elle, et papa se nommoit M. le Sueur.

A ces mots, Kerkabon jeta les yeux sur le major; celui-ci bon et généreux, malgré ses travers, se leve brusquement et embrasse son oncle: Je vous reconnois bien à cet acte d'humanité, lui dit-il, et je ne me pardonnerai jamais l'injustice de mes soupçons. Remettez-vous, répondit le philosophe d'un air calme; je vais continuer mon récit, pourvu toutefois qu'il ne fatigue pas

votre attention.

Nous l'assurâmes tous du plaisir que nous. avions à l'entendre, et il reprit ainsi sa narration:

A l'époque dont je vous parle, je méditois un voyage dans la Caroline du Sud, où des affaires importantes exigeoient ma présence. Je vis avant mon départ tous les passagers qui pouvoient me donner quelques détails positifs sur la famille de notre petite orpheline. Ses parens, riches propriétaires du quartier de l'Artibonite, avoient été massacrés par les Nègres, et l'on ne savoit ce qu'étoit devenu le frère de la petite fille qui avoit été sauvée d'une manière si miraculeuse. Je ne pus recueillir d'autres renseignemens. Je pris. avant mon départ toutes les mesures nécessaires pour assurer le sort de ma fille adoptive, et mettre sa fortune à l'abri des événemens. Un de mes intimes amis se chargea de surveiller son

éducation pendant mon absence, et de me donner souvent de ses nouvelles. Cet ami, étranger ainsi que moi en Amérique, étoit un peintre célèbre d'Italie, nommé Ambrosi, que des circonstances politiques avoient forcé de chercher un asile dans les Etats-Unis.

Je fixai ma résidence à Charlestown, et je n'oubliai point l'orpheline que le Ciel avoit confiée à mes soins. Ambrosi m'écrivoit régulièrement, et m'instruisoit des progrès de son élève; j'appris avec une vraie satisfaction que la bonté de son caractère la faisoit chérir de ceux qui protégeoient ses jeunes années, et qu'elle montroit un goût naturel pour l'art de la musique, et surtout pour celui de la peinture. J'ai toujours pensé que la culture des arts étoit compatible avec les qualités qui recommandent une femme à ses amis et à son époux. L'exercice nécessaire pour arriver dans ces deux arts à un certain point de perfection, a du moins l'avantage d'occuper des loisirs qu'une imagination trop vive peut rendre quelquefois dangereux. Le talent ne vous abandonne point aux jours de l'adversité. Avec quel intérêt n'ai-je pas vu moi-même dans les Etats-Unis, de jeunes Françaises émigrées se servir de cette ressource pour écarter le besoin qui menaçoit d'affliger l'exil de leurs parens ! La piété filiale en consacroit

l'usage; et lorsqu'en présence d'une mère affoiblie par l'âge, ou d'un père malheureux, leurs doigts délicats se promenoient mélodieusement sur la harpe, ou conduisoient un pinceau créateur, il me sembloit voir en elles ces anges tutélaires qu'une religion consolatrice attache à la destinée de ses enfans.

Enfin, après plusieurs années, j'appris que la fièvre jaune faisoit de grands ravages à New-Yorck. Je tremblai sur le sort de mon enfant, et je partis sans délai pour la soustraire à cet épouvantable fléau. Je ne vous peindrai point la vivacité de mes regrets, lorsqu'en arrivant dans cette malheureuse ville, j'appris que l'honnête Barclay et le bon Ambrosi avoient succombé sous cette maladie destructive. Le silence de la mort règnoit dans les rues de New-Yorck, et n'étoit interrompu que par le bruit des chars funèbres. Je croyois errer dans un vaste tombeau; je me hâtai d'abandonner ce rivage qui dévoroit ses habitans, et je conduisis Susanne dans l'île de Rhodes, renommée par la salubrité de son climat.

Elle atteignoit sa quinzième année. Sa raison et ses talens s'étoient développés; elle avoit une figure charmante, et les larmes qu'elle versoit chaque jour sur la fin prématurée de ses deux amis annonçoient la bonté de son cœur. Je vou

lus connoître sur quels principes reposoit sa conduite morale, et je vis avec plaisir qu'elle s'appuyoit sur une piété éclairée. Susanne avoit embrassé les sentimens religieux de la société des Amis, auxquels l'intolérance a donné le nom dérisoire de quakers que leurs vertus ont ennobli.

Quakers! s'écria Duhamel avec un accent qui tenoit du reproche, votre pupille n'est donc pas chrétienne?

Susanne est chrétienne, répliqua le philosophe, et très attachée à sa religion. Les principes fondamentaux de la Société des Amis ne sont autre chose que le christianisme dans sa pureté primitive. Cet esprit de bienfaisance recommandé dans nos saintes Ecritures, sous le doux nom de charité, est la base de leur morale et la règle de leur vie. Ils voudroient pou voir unir toute la race humaine dans les liens d'un amour réciproque. Ils encouragent l'industrie et répriment l'oisiveté comme la source de presque tous les maux qui tourmentent les hommes. Celui d'entr'eux qui, pressé par une conviction intérieure, découvre des vérités nouvelles, ou cherche à faire aimer la vertu, ne desire ni salaire ni applaudissemens; car il ne fait que remplir un devoir. Ils ne sont point possédés de la fureur du prosélytisme : leurs idées de

l'éternelle justice et de la bonté suprême du Créateur de l'univers, sont trop élevées pour qu'ils enveloppent dans une proscription téméraire aucune secte ou aucun individu dont les opinions religieuses diffèrent de leurs propres opinions. Ce n'est point le christianisme des hommes, c'est celui de l'Evangile qu'ils s'honorent de professer. Ils se font gloire de suivre les préceptes du fils de Marie, et surtout d'imiter sa tolérance et ses vertus.

A ce que je puis comprendre, répartit vivement Duhamel, vous-même, M. Kerkabon, vous êtes un quaker?

Si je l'étois, répondit modestement le philosophe, je ne rougirois pas d'en faire l'aveu. Soyez convaincu, mon cher Duhamel, qu'une dénomination, quelque étrange qu'elle vous paroisse, ne peut donner un ridicule à la vertu. Mais j'ai été élevé dans le sein du catholicisme, et je n'ai jamais songé à devenir membre d'une autre communion. J'avouerai même que le catholicisme me paroît un culte convenable aux grands Etats où les bienfaits de l'éducation ne peuvent être répartis également entre tous les individus. La majesté de ses cérémonies, la pompe auguste de ses fêtes, les ténèbres mystérieuses dont ses dogmes sont enveloppés, agissent fortement sur l'imagination des peuples, et les disposent à sou

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