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ternel, brisé par la douleur; mais Sénèque lui fait tenir des discours chargés de détails mythologiques et géographiques :

« Je me traînerai seul, dit-il, sur la cime escarpée du Cithéron, où le malheureux Actéon, innocente victime du courroux de Diane, fut précipité du haut des rochers, et déchiré par des chiens altérés de sang; sur cette cime fatale, où l'on vit une mère transportée d'une joie féroce, encourager ses sœurs à immoler son propre fils, et à porter sa tête sur le thyrse parricide. J'irai dans ces lieux où Dircé fut mise en pièces par le taureau de Zéthus, qui, dans sa fuite, laissa sur les ronces les traces sanglantes de sa fureur. Je franchirai ce rocher qui domine sur la vaste mer d'où la déplorable Ino échappant à un crime pour en commettre un autre, se précipita dans les flots avec son fils. Je veux mourir sur ce rocher où le Sphinx proposoit les énigmes.... Assis sur cette roche funeste, j'y publierai mes horribles aventures..... Je dirai: Habitans de ces lieux où régnajadis un monarque assyrien, vous qui parcourez ces bois où ce prince fit tomber sous ses coups un serpent monstrueux, vous qui révérez les sources de Dircé, et vous qui buvez l'onde de l'Eurotas,

etc., écoutez! >>

Je suis moins surpris de trouver ces lieux com

muns, étrangers au sujet, dans une scène de Sénèque, que dans l'ouvrage de M. de Chateaubriand, dont le talent est bien supérieur à celui du tragique romain. Je suis même convaincu que les fautes où l'écrivain moderne est tombé, tiennent à un système d'imitation trop servile: tant il faut se défier de l'esprit systématique, surtout en littérature!

Il me seroit facile de justifier les discours d'Electre dans Sophocle et Euripide, discours que M. de Chateaubriand nomme interminables. Je renvoie le lecteur aux tragédies de ces grands maîtres. Au lieu de répétitions et de circonlocutions hors du sujet, il y trouvera l'expression des sentimens commandés par la situation des personnages, et cette éloquence du cœur qu'on aimeroit à rencontrer plus souvent dans les Martyrs. Je ne crois pas non plus qu'il soit nécessaire de défendre Racine, Voltaire et nos autres. grands poètes, contre les reproches de M. de Chateaubriand. Il vaut mieux prouver qu'il n'a pas été plus heureux en suivant les traces des modernes qu'en imitant les anciens.

« Le Tasse et Milton ont rempli comme moi leur ciel de perles et de diamans (1) », dit M. de Chateaubriand; et il triomphe, comme je ne

(1) Les Martyrs, tom. I, pag. 140.

pur

sais quel peintre qui ne pouvant faire son Hélène belle, l'avoit faite riche. Ainsi, parce que Milton a parlé de créneaux ornés de saphirs vivans, battlements adorned of living saphir, l'aveugle imitateur nous montre une Jérusalem céleste, dont l'architecture est vivante (1), et des fleuves qui roulent dans leurs flots l'amour et la sapience de Dieu. Il plante l'arbre de science sur la colline de l'encens; mais il va plus loin, et cache sous un feuillage d'or les lois occultes de la nature, les réalités morales et intellectuelles, les immuables principes du bien et du mal. J'imagine que ce sont là ces sortes de pensées que le poète de la raison comparoit aux rêves d'un malade, ægri somnia. Je ne sais s'il auroit été plus content de ce globe à la longue année, qui ne marche qu'à la lueur de quatre torches pâlissantes, et de cette terre en deuil, qui loin des rayons du jour, porte un anneau, ainsi qu'une veuve inconsolable (2). Pour moi, je ne vois dans tout cela que l'intempérance d'une imagination enivrée par la lecture de l'Apocalypse, et je doute que des images si bizarres soient approuvées par les hommes qui attachent quelque prix au bon goût et à une noble simplicité.

(1) Les Martyrs, tom. I, pag. 116. (a) Ibid, tom. I, pag. 122.

Je pousserois plus loin mes remarques sur ce livre du Ciel, et surtout sur celui de l'Enfer, si je ne craignois d'être accusé d'irréligion par l'auteur des Martyrs, qui prodigue un peu légèrement le reproche d'impiété (1). Je me contenterai d'indiquer une imitation du Dante qui ne me paroît pas très-heureuse. Il s'agit des ames tourmentées dans ces sombres abîmes, que M. de Chateaubriand nomme l'empire des chagrins, où l'éternité des douleurs est couchée sur un lit de fer. Ces ames nous sont représentées accourant au conseil. Elles traînoient avec elles quelque partie de leurs supplices; l'une, son suaire embrasé; l'autre, sa chape de plomb; celle-ci, les glaçons qui pendoient à ses yeux remplis de larmes; celle-là, les serpens dont elle étoit dévorée (2). Si M. de Chateaubriand avoit écrit, comme le Dante, dans le quatorzième siècle, époque d'ignorance, de barbarie et de superstition monacale, on lui pardonneroit ces suaires et ces chapes de plomb qui nous paroissent aujourd'hui des images ridicules. Ficta voluptatis causa sint proxima veris. HoR.

On pourroit aussi reprocher à M. de Chateaubriand, une imitation trop servile du langage des

(1) Les Martyrs, tom. I, pag. 1420 (2) Ibid, tom. I, pag. 81.

prophètes et de l'Apocalypse. Sans doute ce langage est très respectable en lui-même; mais je doute qu'il soit bien placé dans un poëme épique. Virgile s'est bien donné de garde d'insérer des vers sibyllins dans son Enéide. L'auteur des Martyrs avoit un droit incontestable à s'emparer de toutes les pensées répandues dans les livres saints, lorsqu'elles pouvoient convenir à son sujet; mais il auroit dû les accommoder au génie de notre langue. Racine, et Rousseau le lyrique, ont imité comme lui les prophètes; mais ils ne les ont point suivis aveuglément. Un exemple fera mieux comprendre ma pensée. Racine n'eut point commencé un chant chrétien par ces paroles : « Pleurez, portes de Jérusalem » (1)! Il savoit que l'image orientale des portes qui pleurent, ne seroit pas supportable en français. Je suppose que M. de Chateaubriand eût voulu imiter le passage suivant du prophète Joël. Plange quasi Virgo accincta sacco super virum pubertatis suæ. Periit sacrificium et libatio de domo Domini. Depopulata est regio; luxit humus. Il n'eut pas oublié le sac dont se couvre la jeune fille pour pleurer l'époux qui lui fut destiné ; il auroit regardé ce trait comme caractéristique du langage et du costume des

(1) Les Martyrs, tom. I, pag. 92.

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