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devint languissante comme la fleur des champs que la faulx du moissonneur a touchée.

Consumée par une fièvre lente, elle voyoit arriver sans crainte et sans remords la fin de ses jours qu'elle regardoit comme le terme de ses malheurs. Elle conserva sa raison jusqu'à sa dernière heure, et remit elle-même son enfant à Zuléma, en lui disant: Ma sœur, tu lui serviras. de mère. Quabi fixoit sur elle un regard immobile, en proie à un désespoir qui enchaînoit toutes ses facultés. Elvire lui tendit la main. O toi! s'écria-t-elle, qui m'as fait connoître le bonheur d'être mère, époux chéri! ma dernière pensée, mon dernier soupir sont pour toi. Sa voix s'éteignit en prononçant ces mots; Elvire n'étoit plus.

Je ne chercherai à vous peindre ni l'affliction de Zuléma, ni la douleur profonde d'Ouabi. La vie étoit pour eux dépouillée de tous ses charmes. Les habitans du village prirent part à leur deuil, et rendirent les derniers devoirs à l'épouse de leur plus brave guerrier. On plaça son tombeau sur le bord de la rivière des Cygnes, vis-à-vis les grandes cascades. Le corps d'Elvire y fut déposé, au milieu des gémissemens de tous les Indiens. Le lendemain, Zuléma sortit en silence de sa cabane, portant entre ses bras le fils de sa sœur. Elle coupa ses

beaux cheveux, et les déposa sur le tombeau d'Elvire. Chaque jour elle alloit dans le même lieu pleurer son amie. Ouabi inconsolable s'exposa aux plus grands dangers, et périt enfin dans une expédition contre une tribu ennemie des Séris. On dit que le vice-roi, ayant appris la mort de sa fille, se repentit de l'avoir traitée avec tant de rigueur. Il obtint qu'on lui remît son petit-fils, et l'envoya en Espague où il le fit élever d'une manière convenable à sa naissance et à son rang. >>

Le philosophe avoit cessé de parler, et chacun de nous gardoit le silence. Madame le Sueur essuyoit quelques larmes qui avoient mouillé ses paupières. Enfin Duhamel prit la parole. « Je vous ai écouté avec intérêt, dit-il à Kerkabon, et je conviens que l'éducation brillante qu'avoit reçue la fille du vice-roi n'avoit point affoibli en elle les sentimens énergiques d'une épouse et d'une mère. Mais conclure du particulier au général est le sophisme le plus commun. Ainsi vous me permettrez de garder mon opinion. »>

>>

C'est le sort de toutes les disputes, répondit Kerkabon. Peut-être trouverions-nous la vérité en prenant un milieu entre votre opinion et la mienne. La culture des arts agréables, la politesse des manières n'empêchent point une femme d'être une excellente mère de famille, à moins

qu'elle ne se livre avec excès à ces études qui doivent servir seulement à occuper ses loisirs, à orner son esprit, et à la rendre plus aimable aux yeux de son époux et de ses amis.

Je trouvai la remarque juste et raisonnable; mais Duhamel persista dans son sentiment; ce qui ne manquoit jamais d'arriver dans nos conférences. S'il n'étoit pas si tard, dit-il au philosophe, j'aurois quelques objections à vous faire sur l'indifférence de votre héroïne pour la religion de ses pères. Qu'appelez-vous indifférence? répondit vivement Kerkabon. Elle remplissoit avec exactitude ses devoirs de chrétienne, à l'exception de quelques cérémonies religieuses que sa situation ne lui permettoit pas de pratiquer. Laissons à Dieu le soin de scruter les consciences, et ne pensons mal de notre prochain ni pendant sa vie ni après sa mort !

CHAPITRE XVII.

Sur Milton et le Paradis perdu.

PARMI les productions poétiques qui font le plus d'honneur au talent de M. Delille, il est juste de placer au premier rang la traduction du Paradis perdu de Milton. Il y règne une aisance et une félicité d'expression qui n'appartiennent qu'à un poëte d'un ordre supérieur. L'on ne trouve point dans son poëme cet air étranger et cette aspérité de langage qui manquent rarement de rebuter un lecteur français. L'illusion est si complète, qu'on croit lire un ouvrage original écrit dans la langue même du traducteur. Il est vrai que M. Delille ne s'attache pas strictement à la pensée de Milton, et qu'il n'a cherché à reproduire ni l'austérité, ni les formes, ni les mouvemens de son style. Comme l'auteur anglais n'est pas un de ces écrivains classiques qu'il faut étudier comme modèles, je penche à croire

que

le poëte

français ne mérite aucun reproche à cet égard. Le succès de sa traduction est la meilleure réponse qu'il puisse faire aux critiques qui seroient tentés de blâmer comme une licence la liberté qu'il a prise de paraphraser son auteur. Il s'est mis, à cet égard, dans une telle indépendance, qu'on pourroit appeler son ouvrage le Paradis perdu de M. Delille.

Cette idée a frappé mon esprit, en comparant avec l'original la traduction de l'exorde si connu du troisième chant, où se trouve cette belle invocation à la lumière qui conduit Milton, privé de la vue, à un retour si naturel sur lui-même. M. Delille, dont les yeux sont aussi fermés à la lumière, a rendu les regrets et les plaintes du poëte anglais avec un charme et une éloquence qu'on ne sauroit trop admirer. Quoique le passage soit un peu long, je ne puis résister au desir de le mettre tout entier, dans l'une et l'autre langue, sous les yeux de mes lecteurs :

Hail holy light, offspring of heav'n first-born,
Or of th' Eternal coeternal beam!

May I express thee' unblam'd? since God is light,
And never but in unapproached light
Dwelt from eternity, dwelt then in thee,
Bright effluence of bright essence increate.
Or hear'st thou rather, pure ethereal stream,

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