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plus que probable que ces ouvrages, malgré le talent de l'auteur, auroient été condamnés

par les Arnaud, les Nicole, les Bourdaloue, les Pascal, les Bossuet, et les autres soutiens de la foi. Comment des hommes qui ne pardonnoient point à Racine de composer des tragédies, auroient-ils pu tolérer le mélange du sacré et du profane, de la vérité et du mensonge, qu'on rencontre partout dans ces deux productions? Un poëte de cette époque qui a mérité, après Horace, d'être nommé le poëte de la raison, nous fera mieux connoître l'opinion de son siècle que des raisonnemens qui sont toujours un peu suspects de partialité.

De la foi d'un chrétien les mystères terribles
D'ornemens égayés ne sont point susceptibles;
L'Evangile à l'esprit n'offre de tous côtés
Que pénitence à faire, et tourmens mérités;
Et de vos fictions le mélange coupable
Même à ses vérités donne l'air de la fable (1).

Il y a un sens très profond dans ces deux derniers vers. Il est certain qu'en lisant le poëme de Milton et les ouvrages de M. de Chateaubriand, on est toujours tenté de croire qu'on ne lit que des fables; et cette impression invo

(1) Boileau, Art poétique, chant III.

lontaire peut affoiblir le respect dû à la reli gion. Je n'ai pas besoin d'avertir le lecteur que l'opinion que je soutiens est celle des hommes vraiment pieux. Je sais tout ce qu'on peut répondre à ce sujet. Ne pouvant éluder l'objection, on récrimine contre celui qui la fait. Avezvous le droit, me dira-t-on, d'être aussi difficile? Etes-vous assez bon chrétien pour qu'on imagine que vous soyez de bonne foi, et qu'on ne croie pas que c'est moins par intérêt pour la religion que par le plaisir de critiquer un auteur célèbre que vous insistez sur un point aussi délicat? C'est ainsi qu'on élude un argument auquel on ne peut répondre. Cette méthode de raisonnement est un peu usée; mais on la rafraîchit en l'assaisonnant de quelques injures; or, personne n'ignore qu'il est plus aisé de trouver des injures que des raisons.

Je le déclare donc franchement; si je me suis livré à cette discussion, c'est seulement pour chercher à démêler les causes qui influent sur la destinée des productions du talent. D'après toutes les recherches et les réflexions que j'ai faites sur ce sujet, je suis convaincu que, si le siècle de Milton eût été moins religieux, le Paradis perdu auroit jeté à sa naissance un grand éclat; et que M. de Chateaubriand doit une partie de ses

succès au peu de zèle et de ferveur religieuse de ses contemporains.

Ne soyons donc pas surpris que des théologiens rigides gémissent sur les éloges donnés à ces ouvrages dont la vogue annonce toujours une indifférence funeste en matière de religion. Aussi, l'insouciance pour les dogmes du christianisme avoit-elle fait de grands progrès en Angleterre, lorsque le Paradis perdu attira l'attention des connoisseurs, et fut mis au rang du petit nombre des chefs-d'œuvre littéraires destinés à l'immortalité. On fut peu choqué de cette bizarre réunion des vérités sacrées et des jeux d'une ima gination poétique; et les beautés répandues dans, ce poëme frappèrent vivement des esprits qui ne mettoient plus autant de chaleur à défendre les intérêts de la religion. Les hommes d'une piété solide, mais peu éclairée, furent séduits par la force de l'opinion publique, et personne ne se rendit compte à soi-même des véritables causes qui avoient contrarié en d'autres temps le succès du Paradis perdu.

Je suis persuadé que Milton croyoit rendre un véritable service à la religion en prenant le sujet de son poëme dans les livres saints. Cette opinion est d'autant plus probable, que Milton peut être mis au nombre de ces sectaires intolérans qui sortent presque toujours du sein des

révolutions. Il avoit aussi cherché à exalter les têtes de ses contemporains, parce que les fanatiques, quelle que soit la cause de leur exaltation, se plaisent dans le désordre et l'anarchie. Mais tel est le pouvoir d'un talent sublime, tel est le charme attaché aux grandes conceptions du génie, que les hommes oublient ses erreurs et admirent les monumens qui le rendent immortel. Après l'Iliade à laquelle il ne faut rien comparer, après les poëmes de Virgile et du Tasse, le Paradis perdu est la plus magnifique épopée qui ait illustré une nation. Le poëte anglais est même supérieur, pour l'invention et la hauteur des idées, à Virgile et au Tasse; et si son imagination trop peu réglée ne l'eût souvent emporté hors des limites du goût et de la raison, il ne le céderoit qu'à Homère. Si l'on se transporte par la pensée, à l'époque où Milton écrivoit; si l'on considère que la littéra ture anglaise étoit encore dans son enfance, quoi qu'en disent les enthousiastes de Shakespeare, on conviendra que l'auteur du Paradis perdu est un des hommes de génie les plus étonnans qui aient jamais existé.

CHAPITRE XIX.

La fête de famille.

IL

y a huit jours que je reçus le billet sui

vant :

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Polycarpe Duhamel à Nicolas Freeman, » Salut. C'est après demain la Saint-Polycarpe, jour de ma fête. Madame Duhamel, suivant >> l'ancien usage, dont elle ne s'écarte jamais,

>>

me prépare mystérieusement quelque chose » dont elle dit que je serai content. Je veux » que mes amis prennent leur part du plaisir » qui m'est promis. En conséquence, j'invite >> M. Freeman à se joindre à la compagnie » peu nombreuse qui se trouvera réunie chez » moi ce jour-là. Pendant que nos amis s'a» museront à leur manière, je donnerai à » M. Freeman un régal de ma façon. Nous >> examinerons ensemble un manuscrit autographe du fameux Alcuin, qui florissoit dans » le huitième siècle. C'est le manuscrit le plus >> curieux qu'il soit possible de voir; c'est bien » dommage qu'on ne puisse le déchiffrer.

» Signé, Polycarpe DUHAMEL. »

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