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J'acceptai avec plaisir cette invitation amicale, sans toutefois me promettre une grande satisfaction de l'examen du manuscrit dont on me faisoit fête. Je me rendis donc, lundi dernier, 27'avril, chez M. Duhamel. Madame, qui faisoit ce jour-là les honneurs de la maison, et qui étoit en grande tenue, vint me recevoir elle-même, et me conduisit dans le salon, où je trouvai nos amis réunis. Floranville me parut un peu rêveur; ce qui m'étonna beaucoup de la part d'un homme habituellement gai. Duhamel, en habit noir à la française, avec une perruque neuve bien poudrée, et sa cravate tombant sur l'estomac en forme de rabat, faisoit tous ses efforts pour donner à son visage un air d'hilarité; mais ses muscles, roidis par l'habitude de la gravité, n'obéissoient qu'imparfaitement à son intention, et il en résultoit une grimace assez plaisante. Kerkabon étoit toujours le même, et ne cherchoit qu'à dire des choses agréables aux personnes de la compagnie, surtout aux femmes, sur lesquelles il n'arrête jamais que des regards affectueux. Mademoiselle Angélique Duhamel, nouvellement sortie du couvent des Dames-Anglaises, paroissoit ce jour-là, pour la première fois, dans le monde. Son air timide et embarrassé annonçoit la pensionnaire; mais ses grands yeux noirs, sa taille élégante et la finesse de son sourire,

faisoient présager qu'elle ne tarderoit pas à perdre les habitudes du couvent. C'étoit surtout madame Duhamel qu'il faisoit bon voir et entendre. Elle étoit pénétrée de l'importance du rôle qu'elle jouoit ce jour-là. Vêtue d'une robe noire de gros-de-tours lustré, qui trahissoit chacun de ses mouvemens par un frou-frou peu harmonieux, elle se rengorgeoit en parlant, et s'interrompoit quelquefois pour dire à mademoiselle Angélique: Petite fille, tenez-vous droite! Elle engagea le philosophe dans une longue conversation sur les beautés de la ville de Grenoble; et, à propos de la fête de son mari, elle nous fit, dans le plus grand détail, la description d'une fête que son père, greffier au parlement, avoit donnée,

il

y a trente ans, à l'honorable confrairie des procureurs. Elle nous raconta les succès qu'elle avoit eus dans cette grande journée, et, se penchant vers moi, me dit à l'oreille, pour n'être pas entendue de M. Duhamel, qu'elle avoit dansé avec M. Primerose, premier clerc de son père, et le plus joli cavalier de Grenoble, un menuet de la cour qui avoit frappé tout le monde d'admiration.

Je crois qu'elle parleroit encore si l'on ne fût venu annoncer que le dîner nous attendoit. La table étoit servie avec profusion, et les mets avoient été apprêtés avec soin: c'étoit là le

triomphe de madame Duhamel; elle préssoit chaque convive de manger avec une obstination qu'elle prenoit pour de la civilité, et elle nous auroit procuré à tous une indigestion par politesse, si nous eussions répondu à ses desirs. Son carquet ne se ralentit qu'au dessert. Il fut alors permis de converser; mais bientôt madame Duhamel, voulant faire briller sa fille, lui ordonna de nous chanter Charmant Ruisseau, et Mon cœur soupire. Mademoiselle Angélique prétendit qu'elle ne pouvoit chanter, qu'elle étoit enchifrenée. Mais madame Duhamel répéta son invitation d'un ton si absolu, que la petite personne fut forcée d'obéir, et nous chanta d'assez mauvaise grâce ces deux romances dont nous nous serions très bien passés.

Nous rentrâmes au salon. C'étoit là le moment que madame Duhamel attendoit avec impatience. Elle dit un mot à l'oreille de sa fille qui sortit aussitôt. Un moment après, elle se lève; et, adressant la parole à M. Duhamel qui ne savoit ce que tout cela vouloit dire, elle lui fait cette harangue qu'elle avoit préparée depuis quinze jours:

« Mon très honoré mari, c'est aujourd'hui votre fête. Depuis vingt-cinq ans que vous m'avez menée à l'autel, où je suis devenue votre épouse, je n'ai jamais laissé passer ce jour

sans vous donner un témoignage de ma tendresse. Je me suis fait un devoir d'étudier vos goûts pour faire quelque chose qui vous fût agréable. Je crois y être parvenue aujourd'hui. Recevez avec complaisance le cadeau que je vous fais avec amitié. »>

A ces mots, elle alla elle-même ouvrir la porte de l'appartement, et deux hommes entrèrent chargés l'un et l'autre d'un grand sac qu'ils déposèrent aux pieds de Duhamel. Tout le monde, surpris de cet incident, gardoit le silence, qui fut interrompu par madame Duhamel.

<< Mon cher mari, je sais que vous avez pour les livres une affection singulière. J'ignore quel plaisir vous pouvez trouver dans ces vieux bouquins dont vous avez rempli notre maison depuis la cave jusqu'au grenier; mais enfin, vous les aimez et il faut bien que vous ayez vos raisons pour cela. Ce matin, je suis sortie de bonne heure, et j'ai été acheter tous les livres étalés sur le quai de la Monnoie. Je les ai fait mettre dans ces deux sacs que je vous offre comme un hommage digne de vous. >>

La conclusion de cette harangue fit rire toute la compagnie, excepté Duhamel qui sentoit une joie secrète de voir que sa femme commençoit à se réconcilier avec les livres.

Je crains bien, lui dit-il, ma chère amie, que la plupart de ces livres ne soient pas dignes d'entrer dans ma bibliothèque. La réputation des ouvrages exposés sur les quais n'est pas très brillante, Ce sont d'ordinaire ou des productions médiocres ou de mauvaises éditions. Cependant il s'y glisse quelquefois de bons livres. Au surplus, je vous sais gré de l'intention, et je ne serai pas fâché de connoître les auteurs que le hasard a confondus ainsi pêle-mêle dans ces deux sacs.

Qu'en pensez-vous, dit-il à Kerkabon, pendant que ma femme fera son piquet à écrire avec M. de Floranville, ne pourrions-nous pas procéder à cet examen? Nous renverrons à un autre jour le manuscrit d'Alcuin.

Nous accueillimes cette proposition qui nous débarrassoit du babil de madame Duhamel; je déliai l'un des sacs, et le premier ouvrage qui me toinba sous la main fut la Philosophie de la Nature.

Admirez les vicissitudes des choses humaines, s'écria Kerkabon. Je me souviens encore du temps où ce livre jouissoit de quelque réputation dans le monde; il avoit même obtenu l'honneur d'être brûlé en cérémonie par la main du bourreau; et son auteur, tout fier d'avoir été exposé aux poursuites d'un procès criminel, ne savoit que

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