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FREEMAN.

Un tome de l'Année littéraire, et un volume dépareillé des OEuvres de Voltaire.

KERKABON.

Voltaire à côté de Fréron! Que diroit l'irasçible auteur de la Henriade, si le sort lui permettoit de venir incognito faire un tour sur le quai de la Monnoie, et qu'il se vît ainsi placé auprès de maître Aliboron? Des étincelles sortiroient de ses petits yeux, et il adresseroit aux Welches des reproches pleins d'amertume. Pour moi, lorsque j'entre dans une boutique de libraire, il me semble entrer dans un cimetière, où les rangs sont pressés et confondus. Les vastes salles de la Bibliothèque impériale sont à mes yeux les Catacombes de la littérature. Que de générations d'écrivains en prose et en vers, de critiques, d'historiens, de théologiens, de philosophes, d'orateurs, de commentateurs, de compilateurs, de glossateurs, gisent dans cette enceinte, et dorment d'un sommeil qui ne sera jamais interrompu! Là, comme dans le champ commun du repos, les passions sont muettes, les inimitiés ont cessé. Le satirique est couché près de sa victime. Boileau et Chapelain, Bayle et Jurieu, Balzac et le P. Goulu, Voltaire et Pompignan, La Harpe et Linguet, et tant d'autres qui se sont déchirés réciproquement pendant

leur vie, reposent en paix, après leur mort, les uns à côté des autres.

Que de réputations contemporaines, élevées par l'intrigue et soutenues par l'esprit de parti, sont aujourd'hui comme si elles n'avoient jamais été! Que de dieux inconnus dont le temps a brisé les autels, et dont les noms échappent même aux recherches minutieuses de ces infatigables bibliographes qui se plaisent à exhumer des cadavres! Combien de telles réflexions devroient rabattre l'orgueil comique de ces petits écrivains qui croient arriver à l'immortalité en se faisant protéger par une coterie, et dont la vanité ne peut être satisfaite par les louanges les plus exagérées !

Parmi cette foule immense d'ouvrages morts en naissant, ou qui n'ont joui que d'une existence éphémère, s'élèvent quelques monumens, de génie qui ne périront jamais, et qui forment seuls la gloire littéraire des nations. Mais les grands écrivains sont en petit nombre comme les élus du Seigneur, et c'est surtout en littérature qu'on peut dire : « Beaucoup sont appelés, et » peu sont choisis. »

FREEMAN.

Vous le prenez sur un ton trop sérieux. Tout cela n'est que comique. Ah, grands dieux! Une suite de feuilles révolutionnaires!

DUHAMEL.

Jetez au feu tout ce fatras, produit impur des plus viles passions; et périsse à jamais le souvenir de ces archives du mauvais goût et de la barbarie !

FREEMAN.

L'exécution est faite.

Discours en prose et

en vers, couronnés par l'Académie française.

KERKABON.

Voyez s'il n'y a pas dans le nombre quelques discours de Thomas, de Champfort, de La Harpe et de Garat; mettez-les à part, et donnez le reste à qui voudra ou pourra le lire (1).

FREEMAN.

Vous n'aimez pas le style académique.

KERKABON.

Je ne sais ce que vous entendez par style académique. J'aime dans toutes les productions de l'esprit, le naturel dans le style, et la raison dans les pensées.

FREEMAN.

Vous n'êtes point académique. Les Délices du sentiment, comédie en cinq actes et en vers.

(1) Cette proscription absolue est trop sévère. On pourroit citer quelques discours académiques de MM. Auger, Viet, Fabre et Villemain, qui annoncent un talent distingué. (Note de l'Editeur.)

FLORANVILLE.

Cette pièce m'est connue. L'auteur appartient à l'école de Dorat. Il n'aime pas Molière; aussi vous voyez quel beau coton jettent ses mielleuses compositions dramatiques; elles bordent tous les quais depuis l'Arsenal jusqu'au PontRoyal. Je me souviens que ce poëte doucereux me dit un jour: « Molière étoit un homme dangereux; il n'épargnoit pas même ses amis. Le rôle de contemplateur n'est point honnête; épier les ridicules pour les immoler sur la scène, sans se soucier si l'on blesse ses plus intimes connoissances, n'est pas le fait d'un bon caractère. On en dira tout ce qu'on voudra; mais ce Molière avoit un mauvais cœur. »>

FREEMAN.

L'anecdote est plaisante. Conaxa!

FLORANVILLE.

Ah, ah, le père Jésuite. Autre exemple des vicissitudes humaines. Après cent ans d'un sommeil profond, Conaxa se réveille, et voilà le pauvre diable rendormi pour l'éternité.

Croyez-vous que

long-temps?

FREEMAN.

les Deux Gendres vivent plus

KERKABON.

Oui, parce que le poëte a peint les mœurs; et voilà ce qui distingue un bon auteur comique

de cette foule d'écrivains dramatiques qui ne savent rien peindre, ou qui ne peignent que des arabesques.

FREEMAN.

L'auteur, dit-on, a beaucoup d'ennemis.

KERKABON.

Tant mieux pour lui, c'est une preuve qu'il a du talent; n'a pas d'ennemis qui veut. S'il a le bon esprit de mépriser cette foule d'envieux impuissans, que tout mérite blesse, et que tout succès irrite; s'il continue à marcher dans la bonne route, il enrichira la Scène Française d'ouvrages qui parviendront avec honneur à Ja postérité.

FREEMAN.

Quel est ce gros billot que je trouve au fond du sac? Voyage à Maroc en 1690. Anonyme, Cela me paroît bon à envoyer chez l'épicier.

KERKABON.

Voyons. Je ne suis pas de votre avis; et je conseille à notre ami Duhamel de le placer dans sa bibliothèque. Ce voyage est peu connu; mais il renferme un trait d'héroïsme qui surpasse à mon gré tout ce que l'antiquité nous. offre en ce genre de plus admirable. Tournez à la page 635, et lisez-nous l'aventure du jeune

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