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» Je vois d'ici votre étonnement. J'ai jeté moimême, sur les maris, tant de ridicule; je me suis si souvent amusé à leurs dépens, que je me sens un peu honteux de ma résolution. Mais je suis maintenant convaincu que nous sommes tous entraînés par la fatalité. Mon étoile veut absolument que je grossisse le nombre des maris; et si, comme le prétend le vulgaire, les mariages sont écrits là haut, il est inutile que je prétende résister à ma destinée.

» Je l'avouerai cependant, si j'avois pu persuader à la belle Pauliska de former avec moi un engagement d'un genre moins sévère, je n'aurois jamais songé à l'union conjugale ; mais lorsque je lui en fis la proposition, elle parut si triste, elle jeta des cris de désespoir si touchans, elle s'évanouit d'une manière si sérieuse, qu'il faudroit avoir, comme le pieux Enée, sucé le lait d'une tygresse pour résister à la douleur d'une si charmante créature.

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Lorsqu'elle fut à grand'peine revenue de son évanouissement, elle me dit des choses si tendres, elle me révéla le secret de son cœur avec tant de grâce, d'éloquence et de sensibilité, que je fus tout surpris d'être aimé aussi éperdument. Vous savez que je suis peu romanesque de mon naturel; toutefois je ne pus tenir à cette explosion du sentiment. Vous ne

sauriez imaginer toutes les choses tendres qu'elle m'a adressées d'inspiration. Je suis nécessaire à sa vie; sans moi elle n'a plus d'avenir; quand on n'aime pas on perd sa vie. Car il faut vous dire que la vie joue un grand rôle dans ses discours. Corinne n'étoit pas plus éloquente que Pauliska.

>> Que pouvois-je faire? qu'auriez-vous fait dans une telle circonstance? Auriez-vous eu la cruauté de briser inhumainement le cœur d'une jeune fille qui meurt d'amour pour vous? Vous seriez-vous déterminé, par la crainte de quelques railleries, à détruire son avenir et à lui faire perdre sa vie? Pour moi, je n'ai pas eu ce cou÷ rage; et en la priant d'essuyer ses larmes, je lui promis de la conduire à l'autel.

» A peine cette promesse étoit-elle échappée de mes lèvres, que ce phénix de sensibilité reprit tout son enjouement. Elle courut sur-le-champ vers sa mère pour l'instruire de la grande nouvelle, et la comtesse vint me donner une scène d'un caractère plus grave.

Que viens-je d'apprendre, mon cher major! me dit-elle d'un air de dignité. Vous voulez donc épouser ma fille, et vous allez vous engager, devant Dieu et les hommes, à faire son bonheur. La pauvre enfant m'a révélé, depuis long-temps les sentimens que vous lui avez ins

pirés; et dès le premier jour qu'elle vous vit aux Tuileries, elle me dit avec une aimable naïveté, des choses merveilleuses sur l'impression que vous faisiez sur elle. Je ne suis pas une mère assez dénaturée pour m'opposer à ses vœux ct vous refuser mon consentement. Je ne crains point d'être désavouée par la noble famille des Bataroski, qui tiennent le premier rang en Pologne, et qui ne se sont jamais mésalliés de mémoire d'homme. Votre naissance, votre fortune, votre caractère me conviennent. Recevez donc ma bénédiction maternelle. Ménagez, je vous en conjure par tout ce qu'il y a de plus sacré dans le monde, ménagez cette jeune innocente que j'ai élevée dans les principes d'une vertu sévère, et qui vous rendra, j'ose l'espérer, le plus heureux des hommes.

» A ces mots, elle prit la main de sa fille, et la mit dans la mienne; ensuite elle nous embrassa tous deux tendrement, et conclut sa harangue par ces paroles :

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Qu'il me tarde de voir des fruits de ce noble hymen. Ne rougissez pas, ma fille; le desir de se voir revivre dans de petites créatures qui vous aiment de tout leur cœur, est un vœu bien légitime et bien naturel. Puisque nous sommes tous d'accord, il est convenable

mon cher major, que nous fixions le jour de la cérémonie nuptiale.

>> Je sentois bien que je faisois une assez sotte figure au milieu de ces deux femmes. Mais j'étois pris sur le temps; d'ailleurs, les larmes et la beauté de Pauliska m'avoient ému; et dans un premier mouvement de tendresse, j'ai fixé le jour solennel à lundi prochain. Je ne ferai point d'éclat, point d'invitations en forme. Je ne veux avoir pour témoins de ce mariage impromptu que nos deux amis et madame le Sueur.

» J'ai déjà parlé à Kerkabon de ce projet qui lui plaît beaucoup; et, au lieu de me railler sur la soudaineté de ma conversion, comme je m'y attendois, il m'a prêché un fort beau sermon sur les devoirs d'un bon mari; il m'a fait aussi promettre de rendre ma femme heureuse; et, à ce propos, il s'est jeté dans de longues réflexions sur la reconnoissance et le respect que nous devons aux femmes en général, lesquelles, dit-il, embellissent la prospérité et consolent le malheur, le tout accompagné de lieux communs que, pour la première fois de ma vie, j'ai eu la patience d'écouter jusqu'au bout. Il s'est chargé des frais de la noce, et m'a fait entendre qu'il enverroit des présens à la future. Il faut avouer que, malgré sa manie de morale, il a un cœur excellent.

» Vous voyez, mon cher Freeman, que je

m'exécute de bonne grâce. Allons, point de quartier; je me livre à vos coups; ne m'épargnez pas dites-moi que je suis un fou, un extravagant. Je m'en dis à moi-même cent fois davantage; et tout cela ne m'empêchera pas d'épouser Pauliska. Ce que c'est que de nous !

A lundi.

» Le major FLORANVILLE. »

Le ton de cette lettre et les efforts évidens de l'écrivain pour conserver la gaieté habituelle de son caractère, m'ont prouvé que l'ascendant de la jeune Polonaise l'emporte dans le cœur du major sur toute autre considération. Il est subjugué, rien n'est plus sûr; il est aveuglé par la passion; et je crains qu'il ne fasse un choix dont il ait quelque jour à se repentir. Le consentement de Kerkabon ne m'a point étonné. Sa bonté et sa candeur ne lui permettent pas de soupçonner les piéges qu'on peut tendre à sa bonne foi, et il est de tous les hommes celui qu'une femme artificieuse pourroit le plus aisément tromper. Pour moi, Pour moi, qui vois peu de franchise dans la conduite de ces deux Polonaises, j'ai cru remplir le devoir d'un ami en adressant à Floranville la réponse suivante:

«

<< Mon cher major, ne craignez point que je » me permette aucune plaisanterie sur la résolu>>tion que vous avez prise, un peu brusquement

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