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grands poètes n'eussent pas consacré leur talent à faire revivre sur la scène française, les héros que la France a produits. Que de leçons utiles n'avoient-ils pas à nous offrir, et que de hautes vertus à nous faire admirer?

FREEMAN.

Vous ne songez pas qu'on nous familiarise dès l'enfance avec les personnages illustres de l'antiquité. Nous sommes un peu comme Montaigne qui savoit le Capitole avant le Louvre, et qui connoissoit mieux les affaires d'Epaminondas, de Scipion et de Métellus, que celles de ses contemporains. Les premiers noms qui frappent nos oreilles, sont ceux des Atrides, d'Oreste, d'Edipe, d'Achille et des autres héros grecs. En les voyant sur la scène, il semble que nous retrouvions d'anciennes connoissances, et nous nous passionnons pour leurs intérêts, comme si nous avions vécu dans leur siècle et dans leur patrie.

KERKABON.

Tant pis; c'est un vice radical de notre éducation. Nous n'avons jamais su instituer les hommes pour le gouvernement sous lequel ils sont destinés à vivre. Aussi, quels funestes effets cette admiration exclusive de l'anti

quité n'a-t-elle pas produits pendant le cours de nos troubles civils? Nous avons eu des Fabricius, des Cincinnatus, des Aristide, qui n'étoient ni Romains, ni Grecs, ni Français. Si on les eût élevés convenablement, si au lieu de charger leur mémoire des faits quelquefois exagérés, et plus souvent fabuleux des anuales grecques et romaines, ils eussent connu l'histoire de leur pays, qu'on leur eût inspiré l'amour de l'ordre et des lois, qu'ils eussent étudié le caractère, les mœurs, les besoins et les vrais intérêts de leurs concitoyens, ils auroient évité cette exagération de principes, ces mesures sanguinaires qui ont déshonoré l'époque où le pouvoir étoit descendu entre leurs mains. Les réformes dont le progrès des lumières et le vœu des hommes sages avoient constaté le besoin, se seroient opérées sans secousse et sans déchirement. Je vois avec plaisir que ces vérités commencent à se faire sentir. On donne aujourd'hui plus d'importance aux études historiques des temps modernes. On cherche à inspirer aux jeunes gens cette fierté nationale qui exalte le patriotisme, et force les autres peuples à vous respecter. Il ne nous manque plus que d'avoir un théâtre vraiment français; d'encourager les poètes tragiques à traiter des sujets choisis dans l'histoire de France; à peindre avec des couleurs vives et

naturelles, les hommes qui ont servi leur patrie avec gloire et avec succès.

Nous en étions là de cette conversation qui m'intéressoit beaucoup, et nous nous préparions à sortir, lorsque j'aperçus dans une loge le major Floranville assis entre deux dames, dont l'une étoit cette belle Pauliska qu'il m'avoit montrée aux Tuileries. Je ne doutai point que l'autre ne fût la comtesse Bataroski. Le major me lança un coup-d'œil dont je crus démêler la vraie signification. Il avoit l'air d'un conquérant qui vient de remporter une victoire décisive. Cependant le philosophe et moi nous franchimes les passages; et comme nous nous retirions à pied, la conversation continua ainsi :

Il me semble, lui dis-je, que vous attachez une trop grande importance aux représentations théâtrales.

KERKABON.

Tout ce qui peut avoir de l'influence sur les mœurs d'un peuple, est d'une haute importance; et le législateur ne doit rien négliger pour diriger cette influence vers un but noble et utile. Les anciens étoient pénétrés de cette vérité; toutes leurs institutions tendoient à multiplier et à resserrer les liens qui unissent les hommes entre eux, et les attachent à leur patrie. De là, ces jeux olympiques, où les différens

peuples de la Grèce alloient s'enivrer de la gloire commune, et applaudir aux talens qui les distinguoient alors du reste des nations. Les citoyens de toutes les villes étoient mêlés et confondus dans ce grand concours. Les rivalités oubliées, les guerres suspendues, n'y laissoient apercevoir que des hommes unis par le même langage et par les mêmes mœurs. Les pompes religieuses ajoutoient à l'éclat de ces augustes fédérations. De retour dans leurs foyers, ces mêmes hommes redevenoient citoyens de Sparte, de Corinthe, de Thèbes ou d'Athènes, et ils y retrouvoient des fêtes, des jeux, des institutions propres à leur inspirer le patriotisme le plus ardent et le plus pur. Tout ce qui pouvoit agir sur l'imagination sensible de ces peuples étoit mis en usage et consacré par les lois. Ils ne pouvoient faire un pas sans rencontrer dans les chefsd'œuvre de leurs statuaires les images révérées de leurs ancêtres. Les dieux mêmes étoient admis au droit de cité; et l'on parloit de la Minerve athénienne, de la Junon d'Argos, de l'Hercule lacédémonien, comme si ces divinités eussent appartenu exclusivement à la ville qu'elles protégeoient. Les jeux scèniques étoient confiés aux magistrats et aux ministres de la religion; et les poëtes tragiques ne s'attachoient à réveiller que des idées honorables à leurs concitoyens. Les

trophées de leurs triomphes, suspendus sur la scène, irritoient l'enthousiasme de la gloire militaire; les noms de leurs législateurs, de leurs grands capitaines et de leurs anciens rois étoient célébrés dans une poésie sublime; et le citoyen d'Athènes sortoit de ces fêtes solennelles avec des souvenirs ineffaçables, et fier d'être né sur une terre si féconde en héros et en chefsd'œuvre.

FREEMAN.

Tout cela me paroît très sensé. Mais l'application de ces principes à nos sociétés modernes me paroît difficile. Nous n'avons rien de commun avec les anciens. Nos mœurs, notre religion, nos préjugés ne sont pas les mêmes. Le commerce, qui multiplie les rapports entre les peuples, affoiblit aussi leurs caractères distinctifs, et s'accorde peu avec les hautes pensées et l'héroïsme des sentimens. Le progrès même des connoissances humaines tend à faire tomber les barrières qui séparent les nations, et à leur donner une physionomie uniforme. Dans un pareil ordre de choses, à quoi serviroit un théâtre national? Comment parleriez-vous de patriotisme à des hommes qui trouvent une patrie partout où l'on peut ramasser de l'or? Comment l'amour de la gloire feroit-il quelqu'impression sur leurs esprits? Le théâtre même, tel qu'il existe, est trop fort

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