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que

De peur d'accident, je n'ose envisager cette femme; et je me repens même de lui avoir jeté en-dessous quelques œillades téméraires. Je crains de rester sous le charme comme l'oiseau que fascine un serpent irrité par la faim. On dit la malheureuse volatile fait de vains efforts pour échapper à sa destinée; elle bat des ailes, s'agite, se tourmente, et finit par se jeter ellemême dans la gueule béante de son ennemi. Je redoute le même sort; et il me semble que j'éprouve déjà une espèce d'attraction qui me fait trembler pour l'avenir. Ce que j'ai pu découvrir jusqu'ici est loin de me rassurer.

Cette femine qui, sans déclaration de guerre préalable, s'est avisée de mettre le siége devant moi, m'a paru âgée d'environ vingt-cinq ans. Sa taille est souple, et son teint éblouissant de blancheur. Elle est d'un embonpoint raisonnable, et ses bras seroient dignes de servir de modèles à Lemot ou à Canova. Ses traits sont délicats et piquans; et son joli pied suffiroit seul pour déranger les pieuses méditations d'un anachorète. Elle est, d'ailleurs, toujours vêtue avec une élégante simplicité. Que le lecteur, quel qu'il soit, juge si le péril que je cours n'est pas extrême, et s'il ne faut pas un grand courage pour l'affronter.

Je ne sais si je me trompe; mais j'ai cru,

m'apercevoir que cette dame traçoit de temps en temps des caractères sur un morceau de papier. Je soupçonne qu'elle veut m'offrir des termes de capitulation; mais je suis résolu de combattre à outrance; et si je ne puis me dégager autrement, je ferai traîner le siége en longueur jusqu'à ce qu'elle soit fatiguée et prenne le parti de la retraite. Je me suis en conséquence muni de toutes les provisions nécessaires pour exécuter ce projet. Lorsque je me rends au Luxembourg, je ne suis plus accompagné des poëtes qui formoient mon cortége ordinaire. Loin de fortifier mon courage, ils sembloient d'intelligence avec l'ennemi. Plusieurs d'entr'eux me conseilloient déjà de ne pas prolonger une défense inutile; et il m'a fallu un degré de résolution peu ordinaire pour résister à leurs perfides insinuations. Je les ai remplacés par d'austères philosophes et par des moralistes rigoureux qui soutiennent mon courage, et me servent de bouclier. Je me sens beaucoup plus fort lorsque j'ai Sénèque ou Epictète dans ma poche; et si le danger devient trop pressant, je ferai avancer un Pascal et un Bourdaloue, que je tiens exprès

en réserve.

Je suis tenté de croire que les caractères tracés mystérieusement par cette femme sont des signes cabalistiques avec lesquels elle prétend me char

mer; de sorte qu'au moment où je m'y attendrai le moins, je me verrai peut-être forcé par une puissance inconnue, de tomber à ses pieds et de m'avouer vaincu. Ce qui me confirme dans cette opinion, c'est que je surprends quelquefois mon imagination occupée à méditer sur des choses qui ne conviennent nullement à ma gravité naturelle. Pour prévenir ce malheur, je prierai mon ami Duhamel de me prêter son Recueil d'Exorcismes latins, publiés vers l'an 1350, que je me souviens d'avoir vu sur une tablette, dans le boudoir de Madame. J'en apprendrai quelques formules par cœur, et je les réciterai mentalement lorsque je sentirai le charme diabolique prêt à opérer.

Je ne sais en vérité ce qui m'attire cette persécution de la part d'une femme que je n'ai jamais offensée ; et je ne puis deviner le but de ses manœuvres. Si j'étois un joli homme à la mode, tel que le major, je trouverois l'aventure assez naturelle; je serois une conquête dont elle pourroit se faire honneur. Mais le portrait que je vais tracer de ma personne prouvera que je ne suis pas digne de tous les soins qu'on prend pour me ravir ma liberté.

J'entre dans ma trente-cinquième année. Ma taille est de cinq pieds huit pouces. Mon teint

a été brûlé par le soleil des tropiques, et je suis crotu (1) comme Saint-Preux. J'ai une barbe et des sourcils noirs et touffus, le nez long et les yeux un peu louches. Ajoutez à cela une poitrine vaste, et des épaules carrées; en un mot des formes athlétiques. Qu'on juge, d'après cette esquisse, si ma tournure a rien de sentimental, et si je devois m'attendre à fixer l'attention d'une femme qui me paroît remplie de délicatesse et de sensibilité.

Je regarde tous ces détails comme autant de pièces justificatives dont je me servirai pour défendre ma réputation, si je suis obligé de rendre les armes. On voit, par tous mes préparatifs, que j'aurai fait tout ce qu'il est humainement possible de faire pour me ménager la gloire du triomphe. J'avoue que je ne suis pas sans inquiétude: car les approches de l'ennemi sont si rapides, qu'à la première rencontre nous nous trouverons vraisemblablement nez à nez, Qu'on se figure alors ma position. Je frémis d'avance des suites de cette

entrevue.

Le monde est si injuste et si accoutumé à juger

(1) Marqué de petite vérole. - « Je te trouve aussi fort bonne de vouloir qu'une prude grave et formaliste comme moi fasse les avances, et que toute affaire cessant, je coure embrasser un visage noir et crotu, » Nouvelle Héloïse, 4. partie, lettre.8.

des événemens par le succès, que si je viens à succomber dans cette lutte inégale, on ne manquera pas de me traiter d'homme sans cœur et sans vertu. Je voudrois bien voir quelques uns de ces rigides censeurs à ma place; ils seroient plus indulgens s'ils connoissoient toute l'étendue du péril que je cours. Au surplus, quelle que soit l'issue de cette aventure, certain d'avoir fait tout ce qui dépendoit de moi pour éviter les reproches, je m'envelopperai dans ma conscience comme dans un manteau sous lequel je serai à couvert des bourasques de la calomnie.

J'écrivois ces réflexions hier, lundi, à dix heures et demie du soir. Aujourd'hui, toutes mes alarmes se sont dissipées. Cette aventure que je redoutois avec si peu de raison, a fini par la catastrophe la plus imprévue; et, à parler franchement, je ne sais si je dois m'en féliciter.

J'étois à mon poste à trois heures précises, et j'attendois avec impatience que l'ennemi se présentât. Personne ne s'offrant à ma vue, j'ai supposé que la dame dont il est question étonnée de ma résistance, avoit renoncé à ses projets hostiles. Je me complaisois dans cette idée, lorsque la loueuse de chaises et venue m'apporter un billet. Ce papier, m'a-t-elle dit, lui avoit été confié par une dame qui étoit venue depuis plusieurs jours au Luxembourg. Elle l'avoit priée

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