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de me faire ses complimens et de me le remettre, en me désignant sous le nom du grand homme

noir.

Surpris de cet incident, j'ai donné quelqu'argent à la loueuse de chaises, et j'ai gardé le billet. Je ne savois trop quel parti prendre. Je craignois que ce ne fût un stratagême. Ce papier mystérieux renfermoit peut-être quelque poudre de sympathie dont il m'étoit impossible de calculer les effets.

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Cependant je me suis reproché ma timidité, et j'ai rompu le cachet. Quel a été mon étonnement de lire les lignes suivantes:

« Monsieur,

» Je professe l'art de la peinture, et je cherche » partout des originaux qui puissent me servir » de modèles. J'achève, dans ce moment-ci, » un tableau de l'adoration des Rois, que je » compte exposer au prochain salon. Toutes »mes figures étoient prêtes, excepté celle du » roi arabe; et je désespérois d'en rencontrer » une qui répondit à l'idée que je me suis faite » de ce personnage, lorsque j'ai eu le bonheur » de vous voir. Votre figure orientale m'a singulièrement frappée ; et je vous demande >> bien pardon de la liberté que j'ai prise de » la dessiner sans votre aveu. Je craignois un

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» refus qui m'auroit privée d'un grand avan»tage car je ne savais où trouver un visage » d'Arabe, et le vôtre est parfait sous tous les » rapports. Je suis sûre qu'il aura du succès » et sera goûté de tous les connoisseurs. J'aurai » l'honneur, si vous le desirez, de vous en en» voyer une copie.

>> Votre très humble servante,

» Susanne LESUEUR. >>

Je laisse à deviner au lecteur l'effet que cette lettre a produit sur moi; et si je serai beaucoup flatté de me trouver, l'année prochaine, au Salon, entre le mage nègre et le mage persan. Toutefois cette aventure me servira de leçon, et je ne m'alarmerai plus si aisément lorsque je verrai de belles dames fixer sur moi leurs regards. Je me souviendrai de Susanne Lesueur.

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CHAPITRE VIII.

Lecture philosophique.

JE

ne sais si j'ai prévenu mes lecteurs que nous dînons chez le philosophe une fois

par semaine ; et c'est ordinairement le jeudi. Il n'est jamais arrivé à aucun de nous de manquer à cette réunion où règnent la décence et le doux abandon de l'amitié. Duhamel lui-même perd dans ces occasions une partie de son austérité naturelle. Mais pendant le repas, c'est le major qui tient le haut bout. Nous l'écoutons avec respect, parce qu'il a fait un cours complet de gastronomie, et connoît toutes les espèces de vins qu'on peut mettre sur un buffet. On n'appelle point de ses jugemens; et il a une sagacité qui n'est jamais en défaut. Je me souviens qu'un jour nous voulûmes lui faire subir une épreuve ou plutôt le tromper. Kerkabon ordonna au sommelier de mêler du vin de Bordeaux avec du vin du Rhône, et de nous servir ce mêlange à l'entremets. Chacun de nous le goûta sans paroître y faire attention; mais

à peine le major eut-il porté le verre à ses lèvres; qu'il s'arrêta sur-le-champ; et après avoir flairé la liqueur une demi-minute, il fit appeler le sommelier. Maître Grégoire, lui dit-il, où avezvous acheté ce vin? Grégoire à qui on avoit fait la leçon, répondit qu'il le tenoit d'un homme renommé pour sa probité, le seul marchand de vin dans Paris qui ne frelatât pas sa marchandise. Dites-lui de ma part, répliqua le major, qu'il est un ignorant, et qu'il mérite d'être sifflé par tous ses confrères. Le Château-Margau et le vin de l'Hermitage, très bons en eux-mêmes, font un mélange qu'un homme de goût ne sauroit approuver. S'il veut absolument mêler ses vins; qu'il marie de vieux Grenache avec de bon Médoc, et il aura une liqueur que le vulgaire des gourmets prendra pour du Constance. Cette aventure qui, selon toutes les apparences, devoit tourner à la confusion du major, lui a inspiré une plus haute idée de lui-même ; et si l'un de nous s'avise le moins du monde de le contredire sur quelque point de cuisine, il en reçoit la réponse suivante, prononcée avec orgueil : « Souvenezvous du vin de l'Hermitage et du ChâteauMargau!»

Les remarques gastronomiques de Floranville sont le plus souvent égayées par le récit des petits événemens survenus la veille, des on dit, des

quolibets, des épigrammes et de toute la chronique scandaleuse du jour. C'est lui qui nous informe des querelles qui s'élèvent quelquefois entre les auteurs, et qui font rire les sots aux dépens des hommes d'esprit. Grâces au major, nous savons que tel acteur a été maltraité dans le Feuilleton de M. Geoffroy; que telle chanteuse est enrhumée; que telle ingénuité vient de faire une fausse couche. Enfin, rien de secret dans les coulisses n'échappe à la connoissance de Floranville; et il narre toutes ces anecdotes avec beaucoup de finesse et de légèreté.

Nous réservons ordinairement notre politique pour le dessert. Les valets se retirent, et nous pesons dans notre balance les intérêts de toute l'Europe. Kerkabon, qui est Français par excellence, déclare alors une guerre mortelle à l'Angleterre. Il fait des armemens considérables, équipe des flottes qu'il envoie nettoyer les mers, reprend toutes nos colonies, et ne veut pas céder aux Anglais un seul pouce de terrain qui ait eu l'honneur, dit-il, d'appartenir à la France. Son projet favori est la conquête de l'Inde. Nous prenons des cartes de géographie, et nous traçons notre route à travers la Turquie et la Perse. Dans ce voyage périlleux, le major ne manque jamais de nous arrêter à Constantinople pour faire une petite incursion dans le sérail du Grand-Seigneur.

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