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CHAPITRE VI.

Les Templiers. Réflexions morales.

JEUDI dernier on donnoit les Templiers au Théâtre Français; et comme le philosophe a une grande estime pour cette tragédie, il me proposa de l'accompagner au spectacle. J'acceptai avec plaisir cette invitation. Nous nous plaçâmes au parterre, suivant notre usage, et nous applaudimes de bon cœur les belles scènes dont cette pièce est remplic. Le philosophe étoit surtout charmé du Grand-Maître. Lorsque la toile fut baissée, il me dit en parlant de Jacques Molay: Ce rôle a une physionomie particulière, qui me donne une haute idée du talent de l'auteur. Il lui falloit beaucoup de hardiessc et une juste confiance dans ses forces, pour introduire, sur le premier plan de son tableau, un personnage qui n'est animé par aucun autre sentiment que par celui du devoir. Un poëte ordinaire au⚫ roit été embarrassé d'un pareil personnage, qui se trouvant toujours dominé par une seule

pensée, doit paroître le même dans toutes les situations où il est placé. L'auteur des Templiers

a passionné ce caractère en lui donnant l'enthousiasme de la vertu et celui de la religion; et c'est ainsi qu'il a su le rendre intéressant, élever son langage et faire naître tour-à-tour dans l'ame du spectateur, la surprise, l'admiration et la pitié. Il n'appartient qu'au talent de subjuguer les sujets les plus ingrats, et de tout vivifier par l'éloquence du style et de la pensée.

Avez-vous oublié, répondis-je au philosophe, que cette tragédie a essuyé d'amères et nombreuses critiques?

Je le sais, répliqua-t-il. L'envie ne pardonne qu'aux ouvrages médiocres; mais ces critiques sont déjà oubliées, et la tragédie dont nous parlons, occupera toujours un rang distingué sur la scène et dans l'estime des connoisseurs..

Ce qui me plaît encore dans cette pièce, ajouta Kerkabon, c'est que les personnages sont français. La plupart des autres tragédies roulent sur des événemens et des hommes auxquels je prends peu d'intérêt. Que m'importent les fuTeurs d'Oreste et les malheurs d' OEdipe? Quelle instruction peut-il en résulter pour les spectateurs? Je rends hommage au génie qui a su embellir ces fictions, et qui en a fait des chefsd'œuvre; mais j'ai toujours regretté que nos

grands poètes n'eussent pas consacré leur talent à faire revivre sur la scène française, les héros que la France a produits. Que de leçons utiles n'avoient-ils pas à nous offrir, et que de hautes. vertus à nous faire admirer?

FREEMAN.

Vous ne songez pas qu'on nous familiarise dès l'enfance avec les personnages illustres de l'antiquité. Nous sommes un peu comme Montaigne qui savoit le Capitole avant le Louvre, et qui connoissoit mieux les affaires d'Epaminondas, de Scipion et de Métellus que celles de ses contemporains. Les premiers noms qui frappent nos oreilles, sont ceux des Atrides, d'Oreste, d'Edipe, d'Achille et des autres héros grecs. En les voyant sur la scène, il semble que nous retrouvions d'anciennes connoissances, et nous nous passionnons pour leurs intérêts, comme si nous avions vécu dans leur siècle et dans leur patrie.

KERKABON.

Tant pis; c'est un vice radical de notre édu cation. Nous n'avons jamais su instituer les hommes pour le gouvernement sous lequel ils sont destinés à vivre. Aussi, quels funestes effets cette admiration exclusive de l'anti

quité n'a-t-elle pas produits pendant le cours de nos troubles civils? Nous avons eu des Fabricius, des Cincinnatus, des Aristide, qui n'étoient ni Romains, ni Grecs, ni Français. Si on les eût élevés convenablement, si au lieu de charger leur mémoire des faits quelquefois exagérés, et plus souvent fabuleux des annales grecques et romaines, ils eussent connu l'histoire de leur pays, qu'on leur eût inspiré l'amour de l'ordre et des lois, qu'ils eussent étudié le caractère, les mœurs, les besoins et les vrais intérêts de leurs concitoyens, ils auroient évité cette exagération de principes, ces mesures sanguinaires qui ont déshonoré l'époque où le pouvoir étoit descendu entre leurs mains. Les réformes dont le progrès des lumières et le vœu des hommes sages avoient constaté le besoin, se seroient opérées sans secousse et sans déchirement. Je vois avec plaisir que ces vérités commencent à se faire sentir. On donne aujourd'hui plus d'importance aux études historiques des temps modernes. On cherche à inspirer aux jeunes gens cette fierté nationale qui exalte le patriotisme, et force les autres peuples à vous respecter. Il ne nous manque plus que d'avoir un théâtre vraiment français; d'encourager les poëtes tragiques à traiter des sujets choisis dans l'histoire de France; à peindre avec des couleurs vives et

naturelles, les hommes qui ont servi leur patrie avec gloire et avec succès.

Nous en étions là de cette conversation qui m'intéressoit beaucoup, et nous nous préparions à sortir, lorsque j'aperçus dans une loge le major Floranville assis entre deux dames, dont l'une étoit cette belle Pauliska qu'il m'avoit montrée aux Tuileries. Je ne doutai point que l'autre ne fût la comtesse Bataroski. Le major me lança un coup-d'œil dont je crus démêler la vraie signification. Il avoit l'air d'un conquérant qui vient de remporter une victoire décisive. Cependant le philosophe et moi nous franchîmes les passages; et comme nous nous retirions à pied, la conversation continua ainsi :

Il me semble, lui dis-je, que vous attachez une trop grande importance aux représentations théâtrales.

KERKABON.

Tout ce qui peut avoir de l'influence sur les mœurs d'un peuple, est d'une haute importance; et le législateur ne doit rien négliger pour diriger cette influence vers un but noble et utile. Les anciens étoient pénétrés de cette vérité; toutes leurs institutions tendoient à multiplier et à resserrer les liens qui unissent les hommes entre eux, et les attachent à leur patrie. De là, ces jeux olympiques, où les différens

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