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CHAPITRE PREMIER

LES PRÉCURSEURS DE GROTIUS

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Nous pouvons donc passer aux auteurs d'une époque plus rapprochée, c'est à dire aux théologiens et aux juristes du XVIe siècle qui sont les précurseurs immédiats de Grotius. Un seul auteur du moyen-âge Jean de Legnano dont l'ouvrage sur la guerre, les représailles et le duel ne fut pas édité cependant avant 1477, sera aussi compris dans cette série. Les principaux écrivains pour le sujet auquel nous nous arrêtons maintenant, sont les Espagnols de Victoria, Soto, Molina, Covarruvias, Vasquez, Ayala et Suarez, dont le Tractatus de legibus ac Deo legislatore parut en 1612; ensuite des Italiens: excepté Legnano, Bolognetus et Gentilis, professeur à Oxford; les Français Connanus et Pierre Faber, le Belge Lessius, et d'autres. 1

Voici à grands traits les résultats de leur science.

Rappelons-nous la tradition romaine concernant le siècle de Saturne, l'heureux âge d'or de l'humanité primitive et l'âge de fer qui lui succède, et remettons-nous aussi en mémoire les considérations des pères de l'Eglise sur l'influence de la chute d'Adam sur le droit et les institutions humaines. C'est à ces souvenirs et à ces considérations que les auteurs que nous allons examiner rattachaient leurs idées.

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L'homme, raisonnaient-ils à la suite de leurs prédécesseurs, est par essence un être sociable, poussé au commerce avec son semblable; il n'y a pas par nature d'aversion entre êtres animés de la même espèce. Au commencement, cette affinité naturelle et ce besoin de commerce appetitus societatis se manifestaient de telle façon que l'humanité formait une seule grande société, Sur ces auteurs, en particulier, voir: C. van Kaltenborn, Die Vorläufer des Hugo Grotius, (1848), p. 124-181, 183-185; A. Rivier, Note sur la littérature du droit des gens avant la publication du Jus belli ac pacis de Grotius (1625) (1883); E. Nijs, Le droit des gens et les anciens jurisconsultes espagnols (1914); L. Oppenheim, International Law (3e éd. Roxburgh, 1920), par, 52, pp. 98 et s., et les notes; sur Gentilis encore W. A. Reiger, Commentatio de Alberico Gentili (1867). L'auteur de ce livre a fait un discours sur une partie de la suivante matière à l'Académie Royale de Sciences à Amsterdam (Section Littérature, tome 58, série B n. 4, 1924).

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dans laquelle, durant la première période de félicité, régnait le droit; le droit qui, étant d'origine divine et faisant partie de la loi éternelle, naquit avec le genre humain; le droit qui, procédant de la nature par nécessité inhérente, est égal pour tous les hommes, qui est inspiré à l'homme par la raison naturelle, la droite raison, de sorte que comme l'exprimait Suarez les actions humaines sont bonnes ou mauvaises, selon qu'elles sont conformes ou contraires à cette raison. Tel est le droit naturel original, le droit naturel dans le sens propre, appelé le jus naturale primaevum ou primarium, le jus naturale necessarium ou le jus naturale tout court. Ce droit, qui avait en lui beaucoup de ce que nous appelons aujourd'hui la morale, est de nature éthique. Ses règles fondamentales sont de faire le bien, d'éviter le mal, de faire à autrui ce que nous voulons que les hommes nous fassent, ce précepte tombé du ciel" (Connanus), d'où découlent à leur tour les commandements: d'être vertueux, de ne pas nuire à autrui, de rendre à chacun le sien. On finit souvent par admettre avec Thomas d'Aquin, malgré la grande divergence d'idées qui régnait ici, que tout ce qui peut de nécessité être déduit par voie de conséquence des principes fondamentaux, est aussi du domaine du droit naturel. Dans la période initiale de bonheur, quand ces règles étaient suivies par tout le monde, chaque homme était libre et tous les biens étaient communs; la terre et l'eau étaient toutes à tous, et il n'y avait partage qu'en vue de l'usage; notamment les produits du ciel, de la terre et de la mer revenaient à ceux qui s'en emparaient. Chacun se déplaçait librement où il l'entendait, sans éprouver jamais nulle entrave - du temps de Noé toute entrave eût été injuste, observe Victoria en assimilant l'époque après le déluge à celle du Paradis — en un mot, tout ce qui était commandé par l'instinct de la nature instinctu naturae respecté dans l'âge d'or.

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Cependant, les circonstances se modifiaient et se transformaient. Les institutions et les situations de l'âge d'or, de la première époque d'innocence, ne perduraient pas. Car, lorsque cette heureuse période fut passée et que le péché avait fait son entrée selon la Bible après l'époque du Paradis la nature corrompue des hommes ne pouvait plus supporter un grand nombre d'institutions du premier âge. On devait changer les situations sociales, créer un droit nouveau pour échapper à un plus grand mal. Ainsi, après la chute de l'homme, la complète communauté des biens n'aurait amené que la discorde et les rixes; Aristote n'avait-il pas enseigné déjà que l'homme soigne ses propres affaires mieux

que celles de la communauté? Ainsi surgit la propriété privée avec toute son organisation: manières d'acquérir la propriété, successions, testaments et, par suite, la guerre et la lutte entre les individus et des peuples entiers, ayant comme corollaires la captivité et l'esclavage - sans lesquels les captifs eussent été tués et de plus grands maux commis; l'esclavage pouvait d'ailleurs se justifier comme punition d'une guerre injuste. Ainsi naquirent aussi la manumission et le droit de postliminium. Bientôt la diversité des situations de lieu et de temps réclamait la formation d'Etats avec leurs rois, leurs gouvernements, leurs magistrats, leurs ambassadeurs, dont il fallait prévoir l'inviolabilité et la capacité représentative, tandisque l'état de sujet aussi exigeait sa réglementation. Les relations paisibles entre les hommes créèrent les conventions et le libre commerce.

De cette manière l'on vit se produire un autre droit qui avait pour ligne de conduite l'utilité, l'efficacité et la satisfaction des besoins sociaux.

Ce droit d'utilité se divise en deux parties. D'abord le droit qui règle les divers rapports et les diverses situations, dont on sentait partout le besoin, après l'époque initiale de bonheur, et qui peu à peu s'étaient fait jour de toutes parts; nous les avons énumérés plus haut. Tout comme le jus naturale primaevum, ce droit était non écrit et était le droit commun, car il régissait toute l'humanité, même après que la grande société humaine se fût transformée en divers Etats; plusieurs de ses règles avaient précisément pour but l'organisation politique. Tel est le jus naturale secundaevum ou secundarium ou autrement dit le droit des gens.

La deuxième partie de ce droit d'utilité forme le droit qui s'est introduit dans chaque Etat séparément, par décret ou par tolérance de l'autorité, et qui se pose en droit propre vis-à-vis du droit commun. C'est le droit civil, droit écrit ou non écrit.

Le changement des circonstances décrit plus haut, avait eu comme conséquence, outre la formation d'un droit nouveau, encore cet autre effet d'influencer notamment le jus naturale primaevum; car les situations modifiées conduisirent fatalement à de nouvelles règles et à de nouvelles déductions des principes fondamentaux de ce droit. Ainsi se révélèrent des règles de droit naturel comme celles-ci: qu'on peut repousser la violence par la violence; qu'on peut mener une guerre défensive, ou même une guerre offensive pour réparer une injustice; qu'on ne peut, dans la guerre, tuer des innocents. Ainsi les conventions pro

duisirent la règle „pacta sunt servanda", la propriété privée amena la défense d'attenter injustement à son intégrité; la prescription en arriva au principe: „contra agere non valentem non currit praescriptio", etc. 1

Telle était donc la doctrine généralement reçue. Chez certains auteurs toutefois, on constate une fusion des règles des deux époques ou bien on ne se représente la première que par hypothèse; on relègue la méthode historique au second plan. C'est le cas notamment chez Suarez, qui dans une terminologie simple traite et distingue le droit naturel et le droit des gens, avant tout d'une manière dogmatique. Mais la plupart des auteurs suivent, pour l'exposé de leurs idées, l'ordre indiqué ci-dessus.

Il ne manque pourtant pas de divergences ni d'écarts entre eux. Et tout d'abord avait déjà surgi prématurément chez d'aucuns le doute sur la justesse de la répresentation historique touchant le sens social de l'homme primitif. Tout comme Plaute avec son „Lupus est homo homini", un seul auteur — Legnano était déjà d'avis, au moyen-âge, que toute entité physique a le penchant inné d'écarter tout ce qui s'oppose à son développement naturel et que l'instinct de conservation et de développement chez les

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1 Voir sur ces matières, e. a.: D. Covarruvias, Relectio c. peccatum, de regulis juris in VI, pars. 2 par. 11 (Opera omnia Anvers, 1610, Tome 1, p. 508). - F. de Victoria, De Indis et de jure belli relectiones, de Indis recenter inventis relectio, prior, sect. 3 no. 386-394, etc. (The Classics of international law, éd. Brown Scott-Nys, Washington, 1917, pp. 257 et s.). F. Vasquez, Illustrium controversiarum libri sex (Francfort 1648) lib. I, c. 1, no. 25 p. 27; c. 10 nos. 18, 19, p. 57; c. 50 no. 5 pp. 196 et s., lib. 2, c. 89 no. 23 et s., p. 355 et s.— - B. Ayala, De jure et officiis bellicis et disciplina militari libri III, L 1 c. 5 nos 15, 16 (The classics of international law, éd. Brown Scott-Westlake, vol. I p. 40). D. Soto, De justitia et jure, lib. I, qu. 4, art. 1; qu. 5, art. 1, 2; lib. 3 qu. 1 art. 3; lib. 4 qu. 2 art. 1; qu. 3 art. 1 (éd. Venise 1594, p. 24, 33 et s., 35 et s., 197 et s., 293, 304, 305). — L. Molina, De justitia et jure, De justitia, Tome I, tract. 1 disp. 4, 5, (éd. Mayence 1602, pp. 10 et s., 14, surtout p. 12 i. f., 13). — F. Suarez, Tractatus de legibus ac Deo legislatore (Naples 1872), pars prima, Lib. 2 C 6 par. 11, p. 102; c. 14 no. 9 p. 129, c. 17 uo. 3 p. 148; c. 19 no. 1, 2, 5, pp. 153, 154 et s.-F. Connanus, Commentariorum juris civilis libri X (Paris 1558) Lib. I c. 5, 6, et s., pp. 19 et s., 24 et s.-P. Faber Liber Semestrium primus (3e éd. Lyon 1598) p. 7. — A. Bolognetus, De Lege, jure et aequitate disputationes c. 10 no. I, et s., c. 23 no. 4, et s. (Tractus illustrium in utraque tum pontificii tum caesarei juris jurisconsultorum (Oceanus juris, Venise, 1584), pp. 301 et s., 313.A. Gentilis, de Jure belli libri tres, (éd. Holland 1867), lib. I c. 1 pp. 6-10; c. 3 p. 16 i. f., 17; c. 12 p. 52; c. 15 pp. 63, 64; c. 19 p. 88; c. 21 p. 97; lib. 12 c. 13 pp. 182, 183; lib. 3 c. 9 pp. 316 et s. L. Lessius, De justitia et jure (Paris 1628) lib. 2 c. 5 dubit. 2 no. 3, P. 42.

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êtres raisonnables, est encore plus fort que chez la brute, puisque la nature est le plus attentive à la conservation de ses créatures les plus précieuses. C'était précisément à modérer et à diriger cet instinct effréné de conservation que servait le droit des gens. Plus tard encore nous voyons d'autres auteurs, comme Connanus, admettre qu'aux temps préhistoriques l'homme errait solitaire avec sa femme et ses enfants par les contrées, à la façon des animaux. C'était le temps où l'homme, ne différant pas beaucoup de l'animal, était soumis au droit bien plus „qua animal" que qua homo". 1

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Cette dernière remarque nous amène à une deuxième divergence de vues. La dispute sur la question de savoir si le droit naturel régissait toutes les créatures animées ou seulement les hommes, doués de raison, n'était pas encore terminée. Certains auteurs, comme Bolognetus et Suarez, rejetaient l'opinion d'Ulpien, parce qu'ils considéraient toute communauté juridique entre les animaux dépourvus de raison et de l'homme avec eux, comme impossible. D'autres, tels que Covarruvias, Faber, Vasquez, ne parviennent pas à se dégager de la doctrine du jurisconsulte romain. Son influence se rencontre à chaque pas. De fidèles disciples de Saint Thomas d'Aquin, comme Soto, suivent l'ordre d'idées du maître. La persistance dans l'opinion d'Ulpien avait sur la terminologie juridique cette influence que certains de ses partisans, comme Vasquez, indiquaient le droit naturel, régissant tous les êtres vivants, sous le nom de jus naturale ou jus naturale primarium; le droit seulement obligatoire pour les hommes de l'âge d'or, sous le nom de jus gentium naturale primaevum; le droit général d'utilité, né après la chute de l'homme, sous celui de jus gentium secundaevum ou secundarium. 2

Une dérogation importante à la doctrine généralement suivie, conduisant en même temps à une terminologie nouvelle, formait le point de vue de Bolognetus, d'après lequel doivent seulement être considérés comme appartenant au droit naturel, les commandements et les défenses qui s'adressent à la conscience avec

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1 G. de Legnano, De bello, de represaliis et de duello, c. 11, 171, 174 (The classics of international law, éd. Brown Scott-Holland 1917, pp. 90, 91, 176 et 180). – Connanus op. cit. lib. I c. 5 p. 19. Plaute, Asinaria, II, 495 (Plaute, éd. P. Nixon 1916, p. 176; dans d'autres éditions II, 488 (Renseignement de M. van Hasselt). 2 Voir Suarez op. cit. lib. 2 c. 17 par. 3 p. 148; Bolognetus op. cit. c. 5, 6 et s., pp. 295, 296 et s., c. 20 no. 14—16, p. 312.- Intéressant à comparer sur Azo: Knight, loc. cit. p. 14. Contra Covarruvias et P. Faber op. cit.; Vasquez op. cit., surtout lib. 2 c. 89 no. 23 et s., PP. 355 et s. Soto, op. cit., lib. I qu. 4 art. I,

pp. 24 et s., surtout 26; lib. 3 qu. I art. 3, PP. 197 et 198.

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