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CHAPITRE V

QUESTIONS ÉPARSES

Nous allons maintenant traiter quelques questions éparses de droit des gens et de droit national. En premier lieu la question qu'on a quelquefois appelée la question de toutes les questions", „la plus importante du droit des gens actuel" (Kohler): Qui sont les sujets de ce droit? Les Etats sont ils seuls les sujets de ce droit ou bien, le droit des gens pourrait-il également créer directement des droits et des devoirs pour les individus, ressortissants de divers Etats, tant entre eux qu'à l'égard d'un Etat étranger? Nous ne traitons la question qu'au point de vue du droit des gens non écrit. 1

Nous avons d'abord le point de vue des docteurs du droit naturel, qui considèrent l'humanité entière comme un tout cohérent, comme une seule grande communauté de droit. Cette doctrine va souvent de pair avec l'opinion, d'après laquelle il existe pour chaque homme individuellement certains droits et devoirs mutuels qui sont inaliénables, droits et devoirs que l'homme a non seulement vis-à-vis de son propre Etat et de ses propres concitoyens, mais aussi vis-à-vis des Etats étrangers et de leurs sujets tels le droit à un traitement humain, notamment dans la guerre; le droit à la liberté individuelle par suite exclusion de l'esclavage, et le droit à la liberté de religion et de conscience; le droit de transporter son domicile non seulement dans son pays mais aussi à l'étranger; le devoir de tenir sa parole, etc. Ce droit de cité universel, jus cosmopoliticum, qui existe , partout où des hommes se trouvent en face d'autres hommes", se rencontre encore souvent à l'époque qui nous occupe. Il est professé par Zachariae et dans le droit des gens philosophique, teinté d'idéalisme, de Pölitz, ainsi que dans le droit commun de l'humanité, tel que l'ont développé Heffter et Pillet. On le retrouve

1 L'auteur de ce livre a traité quelques questions qui suivent, y compris la matière des traités, dans le Bulletin de l'Institut intermédiaire international, IX, (1923), p. I et ss.

également dans l'école italienne, qui enseigne que l'homme a „en tant que membre de l'humanité une individualité propre, une capacité juridique lui appartenant à raison de son existence même indépendante de celle qui peut lui être reconnue en tant que citoyen d'un Etat" (Fiore), à quoi on peut encore ajouter les droits et les devoirs, qu'il faut respecter partout et que l'individu emprunte à sa nationalité.

On reconnaît parfois spécialement le droit de cité universel au profit de personnes qui manquent de nationalité; ces personnes ont vis-à-vis de l'Etat où ils séjournent, directement des droits et des devoirs.

La science est arrivé également à l'aide du droit naturel, à des résultats semblables d'une manière quelque peu nuancée. Lorsqu'il s'agit dans quelque cas, de statuer d'après les principes généraux de la justice et de l'équité", dit-on ici, on se trouve alors en présence de règles auxquelles non seulement les Etats, mais aussi les individus peuvent emprunter directement des droits et des devoirs.

Voilà pour l'opinion sur le droit naturel. '

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Une autre manière de voir, de date récente, se fonde sur le caractère de différents rapports qui sont réglés par le droit des gens positif et qui ont, d'après ce qu'on expose, les seuls individus comme sujets de droit. On cite comme exemples:

a. La juridiction des prises: devant le juge des prises les propriétaires du navire et du chargement ne se présentent-ils pas avec des droits et des obligations indépendants vis-à-vis de l'Etat, qui lui de son côté, réclame le navire et le chargement? C'était ainsi que, selon la convention relative à l'établissement d'une Cour internationale des prises, il y avait recours contre la décision des tribunaux nationaux, recours qui pouvait être exercé non seulement par les Etats neutres, mais aussi en certains cas

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1 J. Kohler, Völkerrecht als Privatrechtstitel, Zeitschrift für Völkerrecht, II, pp. 209, 224. Voir la conception générale d'après laquelle les Etats seuls sont sujets ci-dessous, p. 256 i. f. et ss. La conception de droit naturel: Pölitz, Staatswissenschaften im Lichte unserer Zeit, I, par. 57, pp. 143 et ss. Zachariae, Vierzig Bücher vom Staate, livre 28, loc. cit. p. 7, livre 30, pp. 254 et ss. Pillet, Le droit international, Revue générale de droit intern. public, I (1894), p. 19. Heffter, Das Europäische Völkerrecht, (1844), par. 12-15, 58, pp. 26 et ss., 105 et ss. Fiore, Droit international codifié, art. 31, note, art. 317-436, livre I, tit. 5. Woolsey, Introduction to the study of international law, par. 5, no. 4 jo. par. 146, pp. 4, 245 et ss. - G. S. Freund, Der Schutz der Glaubiger gegenüber auswärtigen Schuldnerstaaten etc. (1910), pp. 20, 21, voir aussi pp. 18, 23, 44, 46 et ss., 52, etc.

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par les particuliers neutres et par les particuliers relevant de la puissance ennemie (art. 4).

b. Les rapports entre le pirate et l'Etat qui le poursuit présentent un caractère semblable. Il en est ainsi entre autres, soit que le pirate, originaire d'un pays civilisé, n'ait pas de nationalité, soit qu'il ait encore la nationalité de ce pays.

c. Le droit de la liberté de la mer est un droit qui, à côté de l'Etat comme unité, revient directement aux individus.

d. Les droits que l'ambassadeur tient de son immunité sont des droits lui appartenant en propre, abstraction faite du fait que l'Etat représenté par lui peut aussi les réclamer pour lui.

e. On indique encore, sous ce rapport, les droits des individus en matière d'extradition, d'émigration, de naturalisation et de boycottage commercial.

f. Enfin on soutient encore que l'arbitrage international entre l'Etat et les particuliers, sujets d'un autre Etat, n'est pas impossible en principe. On allègue que ce point était expressément prévu quant aux emprunts à la première Conférence de la paix de la Haye, dans le premier projet relatif à l'arbitrage obligatoire. Certains de ces cas sont encore plus amplement développés et expliqués. Il en est ainsi, p. e. du cas concernant la juridiction des prises. Qu'on ne dise pas, prévient-on, que les Etats ont de par le droit des gens le devoir de défendre à leur sujets le transport de contrebande de guerre et la violation de blocus, de sorte qu'il ne s'agit ici en réalité que d'une obligation de sujets vis-à-vis de leur propre Etat. Car une pareille obligation n'existe pas pour l'Etat. De même on ne doit pas considérer le pouvoir du juge comme étant un dérivant du droit public intérieur. Car il s'agit ici d'actes accomplis envers des étrangers hors du domaine de l'Etat, par suite d'actes de droit des gens. De plus, qu'il s'agisse dans maint acte - tel le transport de contrebande de guerre, la piraterie, la traite des esclaves - d'une violation de droit de la part des individus et non point de la part des Etats, cela ressort clairement de ce que les Etats, auxquels appartiennent les auteurs, ne peuvent être rendus responsables de ces faits.

Qu'on fasse donc la distinction entre les droits et les obligations des Etats mêmes, considérés comme unités, et les droits et les obligations concernant lesquels les Etats agissent comme représentants de leurs sujets en tant qu'individus, dans les cas où ces derniers ont des droits directement envers les Etats étrangers et leur sujets. Voilà la thèse.

Il faut encore faire remarquer, à ce propos, la divergence qui existe entre les partisans de l'idée que nous développons ici. En effet si on admet communément que les règles du droit des gens, dans les cas comme ceux indiqués ci-dessus, s'adressent aux particuliers directement et indépendamment des Etats, nous entendons cependant quelqu'un soutenir qu'il s'agit ici de règles existant entre Etats, mais que ce sont les particuliers qui en sont les sujets de droit, puisque ces règles existant entre Etats reconnaissent aux particuliers des droits et des devoirs (Westlake). Certains auteurs arrivent au même résultat par d'autres voies. De même qu'en droit civil, la doctrine qui considère la personne morale comme une unité, rencontre des contradicteurs. On soutient en droit des gens: l'idée d'après laqelle l'Etat formerait une unité repose simplement sur une fiction, non sur la réalité. En réalité l'Etat se compose d'hommes vivants, gouvernants et gouvernés; si donc quelque règle de droit des gens écrit ou non écrit est obligatoire pour l'Etat, cela signifie que les hommes et les organes qui composent l'Etat, sont assujettis à cette règle.

On pourrait encore ajouter à ce qui précède que les gouvernements et les lois des Etats mêmes reconnaissent bien des fois aux individus des droits et des devoirs fondés sur le droit des gens et parlent de violation de règles du droit des gens par les particuliers. Voici quelques exemples.

Pendant la guerre de 1914, le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique, vis-à-vis de la manière allemande de faire la guerre sur mer, fait mention de son „devoir sacré de soutenir le droit des Etats-Unis et de ses citoyens et d'en sauvegarder le libre exercice et la jouissance"; de violations graves et injustifiables des droits des citoyens américains de la part des commandants navals allemands"; „de restrictions aux droits des citoyens américains en haute mer qui ne sont pas exigées par les règles de la loi internationale" (1915 et 1914). Le gouvernement français parle de mesures respectueuses des lois des particuliers" (1915), le gouvernement néerlandais expose que la propriété d'un navire ,n'entre pas en jeu pour déterminer la place que le navire occupe comme sujet du droit international" (1915), etc.

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Dans des déclarations de neutralité comme celle de la France, dans la guerre hispano-américaine de 1898, les sujets français sont exhortés à s'abstenir de tout fait commis en violation des lois françaises ou du droit des gens". Et dans le Code Pénal hollandais nous voyons comminer des peines contre les actes, par

lesquels la neutralité de l'Etat peut être mise en péril; règle où l'on part manifestement de l'idée qu'une personne privée peut violer des règles de neutralité du droit des gens (art. 100).

Voilà résumeé la doctrine qui sans faire de distinction entre le droit des gens et le droit national, se fonde sur le caractère des règles internationales; elle est défendue en Allemagne par Kohler, Rehm et Freund, en France par Bonfils-Fauchille, en Hollande par Visser et van Eysinga, en Angleterre, avec la nuance indiquée, par Westlake. Chez d'autres encore s'observent des tendances semblables. 1

Mentionnons enfin qu'à l'instar du jus gentium romain, la jurisprudence anglaise continue à considérer le droit maritime comme un droit d'un caractère général, valable pour tous les peuples. Les juges parlent de „the law which generally is practised by maritime nations", „the present maritime law of the civilized world", the general maritime law as administered in England”. Ils insistent encore sur ce point qu'en substance et en principe le droit commercial est d'une manière générale, uniforme d'une extrémité du monde à l'autre et qu'un tribunal anglais avait en conséquence la faculté d'appliquer le Sale of Goods Act de 1893 à un contrat de vente étranger, à moins qu'il ne fût clairement prouvé qu'il y avait une divergence entre le droit anglais et la loi étrangère en cause, et sauf la volonté contraire des parties.

Les sujets du droit général des peuples, esquissé ici, sont sans doute en premier lieu les individus, plutôt que les Etats. 2

A ces courants scientifiques s'oppose l'opinion suivante. Les rapports entre les Etats et leurs sujets, expose-t-on de ce côté,

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1 Fauchille, La guerre de 1914, Documents, II, pp. 64-66, 70-72, 76-78.. Recueil de diverses communications du Ministre des affaires étrangères (des Pays-Bas), etc. (1916), pp. 37, 38. Lebraud, La guerre hispano-américaine et le droit des gens, p. 224. — L. E. Visser, Het wezen der internationale gemeenschap, p. 34 et la littérature citée; De neutraliteitsplichten van den Staat en de Nederlandsche strafwet, Tijdschrift voor strafrecht, X (1897), p. 396.- Kohler, Völkerrecht als Privatrechtstitel, Zeitschrift für Völkerrecht und Bundesstaatsrecht, II (1908), pp. 209 et ss. Rehm, Untertanen als Subjekte völkerrechtlicher Pflichten, cité Zeitschrift, I (1907), PP. 53 et ss. Freund, Voir la note p. 253. Bonfils-Fauchille, Manuel de droit international public, no. 157, pp. 85 et ss. W. J. M. v. Eysinga, Proeve eener inlei ding tot het Nederlandsche tractatenrecht (1906), pp. 120 et ss. on the principles of international law, pp. 1, 2.

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Westlake, Chapters

2 Le juge Lushington dans the Segredo, le juge Willes dans Lloyd c. Guibert, dans J. Westlake, A treatise on private international law (1912), p. 203, 206. — Lord Parker dans The Parchim (1917), chez Aspinall, Reports of cases relating to maritime law, XIV, nouvelle série, p. 196; Journal de droit international (de Clunet), 1923, P. 1006.

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