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celui-ci. Mais lorsque la loi a introduit l'acquisition de la propriété par prescription, l'obligation de restituer disparaît pour celui dont la possession satisfait aux conditions de la prescription. De cette façon des remises et des dispenses du droit naturel devenaient donc possibles par la volonté de l'homme, en vertu du droit humain. Cela n'empêcha pas les auteurs de soutenir de toutes leurs forces, que ni la volonté humaine, ni le droit humain ne modifiaient en rien la loi naturelle même, pas plus que ne se trouvent changées les règles de la medecine, pour employer une comparaison de Saint Augustin, par le fait que les remèdes s'appliquent de manière différente, suivant l'exigence de chaque cas particulier.

Les tempéraments que nous signalons ici comme apportés à la règle fondamentale de l'immutabilité du droit naturel, avaient surtout leur importance à l'endroit des rapports entre le droit naturel et le droit des gens. Car à l'aide de ces adoucissements de la rigueur du principe, on parvenait à concilier celui-ci avec les exigences de la vie sans avoir à recourir à l'abolition d'institutions du droit des gens en pleine vigueur, qu'il était certes difficile de mettre d'accord avec le droit naturel. Du fait, par exemple, qu'on faisait rentrer la liberté innée de l'homme dans le droit naturel non impératif ou qu'on la regardait comme placée en dehors du droit naturel, on ne devait pas considérer l'esclavage comme contraire au droit naturel; on pouvait donc repousser avec un certain dédain la théorie d'Aristote, séculairement combattue, que c'est le voeu de la nature, que les uns naissent pour dominer, les autres pour servir. De même on pouvait justifier le remplacement de la communauté des biens par la propriété privée, et ainsi de suite, tous résultats auxquels Thomas aussi était déjà arrivé.

Pour ce qui concerne en particulier le rapport entre le droit naturel et le droit civil, nos écrivains pouvaient en outre tirer profit de la théorie d'Ulpien, d'après laquelle le droit propre ne déroge pas tout à fait du droit commun, ni ne le suit en tout servilement, mais qu'il peut bien y ajouter ou en ôter quelque chose. Le droit civil pouvait ainsi préciser dans chaque cas spécial ce que la loi naturelle avait posé en principe général. Mais de cette façon était aussi close la liste des exceptions à la règle fondamentale. Car toujours on mettait en avant le principe traditionnel: aucun droit posé par l'homme, soit de par la coutume, soit en vertu de la loi, fût-il l'oeuvre du souverain ou de l'Eglise, de l'Empereur ou du Pape, ne peut être contraire au droit na

turel; s'il n'est pas d'accord avec le droit naturel ou s'il n'en dérive pas, il est nul. Ainsi sont nulles les lois des peuples qui considèrent comme licites le vol, l'adultère, l'inceste, et les lois qui mettent toutes les femmes à la disposition de tous les hommes. Aucunes lois ne peuvent obliger les Espagnols à entreprendre le long et dispendieux voyage à Rome en vue de bénéfices, dignités ou contestations. De pareils déplacements nuisent tellement aux affaires et à la vie de famille de ceux qui y sont astreints, que le droit qui les ordonne doit, à cause de son désaccord avec la raison et de son opposition avec le droit naturel, être annulé, encore qu'on pût invoquer en sa faveur une coutume millénaire introduite par la violence, la sottise et le plus grossier des aveuglements. „Navigare triste, contra naturam”, s'écrie le peu entreprenant Vasquez. Ainsi sont nulles et de nulle valeur les lois des Vénitiens et des Génois qui interdisent aux nations étrangères de naviguer sur la mer Adriatique et la golfe de Gênes et d'y pratiquer la pêche, comme contraires à la liberté des mers que proclame le droit naturel; on ne voulut reconnaître dans ces mers à Venise et à Gênes, que la juridiction rentrant dans le droit des gens. De même les Indiens ne peuvent, sans motifs, défendre aux Espagnols de parcourir leurs contrées et d'entretenir un commerce paisible avec les indigènes; des mesures comportant de pareilles interdictions seraient inhumaines. et déraisonnables et n'auraient pas force de loi.

Une règle du droit naturel, passée dans le droit positif par la coutume ou par la loi, conserve son caractère de droit naturel, elle ne peut donc pas être abolie par un droit positif nouveau qui y dérogerait. Cette théorie de Saint Thomas d'Aquin est généralement adoptée par les auteurs subséquents.

Ajoutons enfin, que les règles impératives du droit naturel étaient considérées comme ne pouvant être changées par l'équité '.

Disons maintenant un mot du changement que pouvait subir

(éd. Holland),

Lessius, op. cit. disp. 4, pp. 11– nos. 5, 8, 9, pp.

1 Voir concernant ces matières Ayala, op. cit. c. 5 no. 16, p. 40. - Bolognetus, op. cit. c. 23 nos, 2 et s., p. 313: c. 31 nos. 5 et 13, pp. 310, 320. Connanus, op. cit. c. 6 p. 30. Covarruvias, op. cit. — Gentilis, De jure belli lib. I c. 9 p. 88, lib. 3 c. 9 pp. 316, 317; ensuite la note p. 20. lib. 2 c. 5 dubit. 2 no. 3, p. 42. — Molina, op. cit. tome 1, tract. I 14. Suarez op. cit. lib. 2 c. 13 nos. 2-4, pp. 123 et s., c. 14 127, 128 et 129. Victoria, op. cit. nos. 386-391, pp. 257 et s. cit., proem. no. 4 et s., p. 3; lib. I c. 10 no. 12, p. 56; lib. 2 c. 51 nos. 40, 41, 50, pp. 202, 203, 204; c. 89 nos. 28 et s., pp. 356 et s.; lib. 2 c. 20 nos. II et s., pp. 88 et s.

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Vasquez op.

le droit des gens et du rapport de ce droit avec le droit civil. On peut admettre comme règle générale, que le droit des gens était susceptible de changement. Il en était certainement ainsi, puisque l'adoption universelle de nouvelles coutumes ou l'abandon chez tous les peuples de la terre d'usages anciens, pouvaient modifier ou abolir le droit des gens en vigueur. C'est ainsi que contrairement au droit antérieur, il était devenu réglémentaire dans le droit de la guerre de ne plus tuer les prisonniers à la fin du combat. A l'égard de certaines pratiques il était controversé, si elles avaient réellement donné lieu à un changement du droit. C'est ainsi qu'à propos de l'usage en vigueur chez les chrétiens de ne pas réduire en esclavage les prisonniers faits dans les guerres entre les fidèles ou même, d'après d'aucuns, dans toute guerre juste, on soutenait d'une part que c'était là un jus gentis fidelis qui avait vu le jour sous l'influence de l'Eglise, et d'autre part on prétendait, au contraire, que tel était un pur acte de pitié, pratiqué propter charitatem, sans nulle contrainte d'ordre juridique.

Pas plus que la pitié l'équité n'était capable de modifier le droit des gens. L'équité devait se borner à remplir un rôle de modératrice sur le terrain du droit civil. 1

Concernant les rapports entre le droit des gens et le droit civil, il régnait à ce sujet une grande incertitude. Rappelons encore une fois tout ce dont s'occupait le droit des gens: la propriété privée, les successions, les formes de gouvernement, le trafic, les conventions les plus usuelles, la guerre, la captivité, l'esclavage, les ambassades et d'autres choses encore.

Ici aussi on trouvait un point d'appui dans la doctrine d'Ulpien indiquée plus haut, d'après laquelle le droit propre peut bien ajouter ou ôter quelque chose aux règles du droit commun droit naturel, droit des gens, mais ne déroge pas généralement à ce droit, ni ne le suit servilement en tout.

C'est en partie sous le coup de la conception que le droit des gens était du droit naturel, que se formait une forte tendance scientifique, que le droit des gens ne pouvait être méconnu dans essence ni dans sa substance par le droit civil. Ainsi selon

son

-

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1 Ayala, op. cit. c. 5 no. 19, p. 42. - Bolognetus, op. cit. c. 31 nos. 11, 13, p. 320. Lessius, op. cit., lib. 2. c 2 dubit. 2 p. 20; c. 5 dubit. 2 no. 3, P. 42. Suarez op. cit. c. 20 no. 6, p. 158. Victoria op. cit., relectio secunda, de Indis sive de jure belli Hispanorum in Barbaros relectio posterior, par. 49, no. 458, p. 293 (sextum dubium). Connanus, op. cit. c. 6, p. 24. Comparez Aristote, Ethic. Nicom., op. cit. lib. 5 c. X, 1137b, pp. 64 et s.

Victoria et Gentilis, le libre commerce, admis par le droit des gens, ne peut être changé par les dispositions de l'un ou l'autre peuple: non mutatur adverso eundo. Le règlement seul des détails est permis dans le droit civil, notamment en ce qui concerne la forme, comme c'était par exemple le point de vue de Legnano relativement à la guerre et au duel.

Un seul auteur, Connanus, qui reconnaît aussi au droit des gens la caractère de droit naturel, fait à l'égard de ce droit la distinction entre droit impératif et droit non impératif. Nous l'avons vu faire pareillement par d'autres, lors de l'examen du droit naturel pur. Le droit civil, observe Connanus, défend beaucoup de ce que le droit des gens permet. Cependant, ce que le droit des gens qui est du droit naturel défend ou ordonne, le droit civil doit aussi le défendre ou l'ordonner, parce que ce dernier droit doit se baser sur le premier. 1

Mais il s'élevait aussi des voix qui préconisaient la complète liberté du droit civil vis à vis du droit des gens et qui soutenaient que chaque peuple pouvait, par sa seule volonté, s'écarter du droit des gens. C'est l'opinion de Vasquez dans sa démonstration, aussi originale que vigoureuse, de la thèse suivante: que, puisque le droit des gens doit sa naissance à l'imitation, du fait que l'un peuple a admis librement dans ses us et coutumes certaines règles de l'autre, règles qui devenaient ainsi le droit du peuple qui les avait admises, de même tout peuple peut à son tour modifier ou abolir les règles de droit ainsi introduites par la loi ou par des coutumes contraires, ou bien en les laissant tomber en désuétude ou bien en les abolissant par la loi; il s'agit ici de changement ou d'abolition de son propre droit. Ainsi la propriété privée, introduite par le droit des gens, peut être de nouveau supprimée dans chaque pays, si cela convient, et être remplacée par la communauté générale des biens. Ainsi peuvent dans chaque pays être abolis les testaments, et le fait que la prescription est inconnue dans le droit des gens, n'empêche nullement qu'un peuple déterminé l'adopte par sa seule volonté.

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On voit les difficultés et le doute auxquels donnait lieu sur ce point le droit des gens romain traditionnel. En fait de résultats concordants et satisfaisants, on dût constater ici la carence de la science, jusqu'au jour où, en 1612, Suarez fit

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1 Voir Gentilis, De jure belli (éd. Holland), lib. 1 c. 19, p. 85. — Victoria, op. cit nos. 386-391, pp. 257 et s. Legnano, op. cit. c. 11, 174, pp. 90, 91 et 180.P. Faber loc. cit. Connanus, op. cit. c. 6 p. 30. 2 Vasquez, op. cit. lib. 2 c. 54 nos. 2-5, p. 215.

paraître son Tractatus de legibus ac Deo legislatore et ouvrit au droit des gens de nouveaux horizons qui répandirent sur les rapports entre ce droit et le droit civil une lumière nouvelle.

Nous voici en effet à un moment décisif dans l'histoire du droit des peuples, le moment où Suarez allait analyser de plus près le droit des gens, tel qu'il avait été transmis du droit romain, et allait diviser la matière, régie par ce droit et composée des éléments les plus divers, en faisant la distinction entre deux espèces de droits des gens, le jus gentium primo modo et le jus gentium secundo modo.

Le premier, le droit des gens proprement dit, se rapporte à la généralité du genre humain. Il est né par le consentement des peuples. Le second n'a point en vue le bien-être de tous les Etats, mais il n'existe que dans l'intérêt d'un seul et est créé par cet Etat en toute indépendance et par sa seule volonté. D'autre part, les règles de la seconde espèce de droit des gens sont de nature telle qu'on y observe une certaine ressemblance des coutumes et des lois de tous les peuples. Il s'agit donc aussi, dans cette seconde espèce de droit des gens, d'un droit qui a chez tous les peuples la même teneur et la même tendance, mais qui diffère de la première sorte par son essence et son caractère, du fait qu'il ne se base pas sur le consentement mutuel des peuples.

A la première espèce de droit des gens appartiennent, entre autres, le droit d'ambassade et le droit de guerrec. à. d. le droit de faire la guerre juste, les traités de paix et les armistices, sauf le pacta servanda", qui est de droit naturel, l'esclavage le châtiment mutuel des peuples le commerce

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et les conventions entre hommes de nationalité différente. A la seconde espèce de ce droit appartiennent: la religion, la condition des gens de l'Eglise, l'appropriation de biens sans maître, la construction de maisons, de fortifications, l'usage de la monnaie, le postliminium, quelques contrats: contrats d'achat et de vente, la prohibition de mariage entre personnes de confesssion différente. ' La grande conséquence de cette distinction était d'apporter plus d'unité et de fermeté dans le rapport entre le droit des gens et le droit civil. Nous avons vu quelle incertitude régnait sur ce point. Il était maintenant mis fin à cela. Car dans le système de Suarez il était requis pour le changement ou l'abolition du droit des gens proprement dit, le jus gentium primo modo,

Suarez, op. cit. lib. 2 c. 19 no. 5, pp. 154 et s.; c 20 no. 6, pp. 158 et s.

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