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CHAPITRE III

LA PRATIQUE AVANT ET PENDANT L'ÉPOQUE

DE GROTIUS

Comme appendice aux considérations précédentes concernant la théorie, nous faisons suivre quelques remarques éparses sur le caractère du droit non écrit qui au moyen âge et au commencement des temps modernes était pratiqué dans les relations internationales, le droit dans sa réalité tel qu'il s'est présenté aux prédécesseurs de Grotius et à celui-même.

Ce droit était partie intégrante du droit national dans les divers Etats existant alors. C'était un droit coutumier qui n'avait pas par lui-même de caractère propre; il n'était pas tenu pour une branche séparée du droit coutumier qui à l'intérieur régissait les affaires publiques et privées purement nationales. D'ailleurs cela n'empêche pas que quelquefois dans les rapports internationaux il surgissait des coutumes qui étaient appliquées d'une façon si générale et qui avaient pu s'introduire comme règles de droit dans tant de pays, qu'on pourrait, en effet, parler ici d'un droit commun en usage chez plusieurs peuples, à la manière du jus gentium romain.

On en trouve un exemple frappant dans les coutumes qui, dans certains domaines maritimes, étaient adoptées pour les rapports sur mer. C'est ainsi que pour ne donner qu'un seul spécimen le Consulat de la mer débute par: „Açi commencen les bones costumes de la mar" et renvoie tout le temps à celles-ci et aux „us è costum de mar". Le placard de Charles-Quint du 19 juillet 1551 concernant la navigation maritime, édité pour les Pays-Bas, renvoie à la „oude gewoonte van der see", la vieille coutume de la mer. Des auteurs de droit maritime de la même époque, comme Quentin Weytsen, parlent de la „gemeene usantie", l'usage commun, de la „gemeene costume", la coutume commune.

Et ces us et coutumes ne concernaient pas seulement le droit privé, mais à côté de celui-ci de tous temps et inséparablement aussi des relations, que nous considérons comme dépendant du droit des gens et qui pouvaient conduire à des remontrances et

des accusations d'injustice de souverain à souverain. C'est ainsi, comme on sait, que le Consulat de la mer contenait une réglementation détaillée au sujet du droit des prises, matière traitée aussi dans le Guidon de la mer, lequel renfermait en outre des prescriptions au sujet des lettres de marque et de représailles, qui étaient délivrées „si... restitution et satisfaction n'est faite par droit commun à toutes nations". Une déclaration semblable se rencontre dans le Statutum de Stapulis de 1353, dans lequel le roi Edouard III proclame que s'il est fait tort aux Anglais ou autres sujets du roi, après vaine sommation pour obtenir justice, nous eioms le ley de mark et repreisalx come ad este use avaunt cez heures saunz fraude ou mal engine". Vingt ans auparavant le même roi, avisé par ses sapientes et periti, avait fait au roi d'Aragon la remontrance, que si la voie de droit n'avait pas été d'abord parcourue jusqu'au bout, l'octroi des lettres n'avait pas lieu de jure", et que ,nec aequitas nec jus" ne les permettaient pas.

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Cette dernière expression nous offre l'occasion de souligner le grand nombre de fois qu'on rencontre le juste et le raisonable comme éléments des coutumes. C'est le cas notamment en Angleterre. Lorsqu'en 1225 la Magna Charta proclame la liberté de commerce et de circulation au profit des marchands étrangers hors le cas de guerre, cela a lieu per antiquas et rectas consuetudines". Lorsqu'en 1414 une loi vient régler la manière de juger et de punir ceux qui violent en pleine mer les sauf-conduits et les passeports délivrés par le roi d'Angleterre et se rendent ainsi coupables de trahison envers la Couronne et la dignité royale, il sera entendu que le procès et la condamnation auront lieu resonablement selonc launcien custume & leye sur le meere usez ount faitz ou usez".

Ce phénomène correspond à ce qu'on trouve dans certaines coutumes françaises. C'est ainsi qu'on lit dans la Très ancienne

1 Consulat de la mer, initio, chap. I, 205, 231, 245; J. M. Pardessus, Collection de lois maritimes antérieures au XVIIIe siècle (1831) vol. II, pp. 49, 259, 303 et ss., 338 et ss. Guidon de la mer, chap. X, surtout par. 1er, chap. XI. Pardessus, op. cit. II, pp. 410 à 413.· Placard de Charles-Quint du 19 juillet 1551, art, 41, Groot Placaetboek (Cau c. s., 1658-1796), tome I, pp. 792, 793. Q. Weytsen, Een tractaat van avarien (Middelbourg, 1664, non paginé) Par. 39 et 43. 27 Edw. III, stat. 2 c. 17 (1353), Statutes ad large (London 1769), I, p. 280. Acte de 1333 (7. Edw. III), Th. Rymer, Foedera. conventiones, literae, etc. inter reges Angliae et alios quosve imperatores etc. ed. tertia (1739), Tom. II. pars III, p. 100. Comp. aussi H. Hallam, View of the State of Europe in the middle-ages, 7e éd. (1840), vol. 1, ch. IX, part. 3, p. 255.

coustume de Bretaigne, composée, elle aussi, vers la première moitié du XVe siècle: „Coustume qui est sur raison doit estre gardée",... et pour ce doivent tous obéir ès coustumes qui sont fondées sur raison". On lit aussi dans le Grand coutumier de France: Coustume est un raisonnable establissement non escript et pour le commun profit mis au pais, et par le prince gardé et approuvé notoirement par le cours de XL ans". Dans le même ordre d'idées on peut aussi rappeler les bones costumes" du Consulat de la mer. 1

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On voit à chaque pas, comment des matières régies au début par les coutumes, deviennent à la longue des sujets de lois nationales et de traités. Pour ce qui concerne les lois nationales, c'est ainsi qu'en Angleterre le droit d'épave le droit au wreck" — était originairement un droit régalien régi par la coutume du pays, le common law", jusqu'au jour où la matière fût réglée, très tôt déjà, par la loi 17 Edw. II, c. II et ce dans un sens certes très éclairé, très humanitaire pour l'époque. C'est ainsi encore qu'on trouve dans une loi de 1416 V. c. 5 — que dans les villes et dans les ports de mer les autorités locales désignaient aux commerçants étrangers et à tous autres étrangers un hôte - hostie — chez lequel seul ils pouvaient séjourner et, y lit-on plus loin, les hôtes ainsi désignés „preignent pur lour travaill en manere qe fuit accustumez en auncien temps". Et ainsi de suite.

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4 Henr.

Le fait que ce qui était admis en vertu de la coutume finit par être réglé dans des traités, se retrouve dans des cas comme le suivant. Dans le traité de Spire, conclu en 1544 entre Charles-Quint comme souverain des Pays-Bas et Christian III, roi de Danemark, la liberté de commerce et de circulation des sujets d'un pays dans l'autre est reconnue wie von alters hero", comme cela était admis de temps immémorial. Dans l'union que la Hollande et la Zélande conclurent en 1576 pour combattre l'ennemi commun, L'Espagne, on voit aussi s'affirmer le droit des sujets et des habitants d'un pays de faire le commerce dans l'autre

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1 9 Henri III, c. 30 (1223), the Statutes at large vol. 1, p. 8. - 2 Henri V c. 6, 1 (1414), Statutes al large I, p. 490. Nouveau Coutumier général (Chauvelin, Brodeau, Ricard 1724), tom. 4 p. 201.-Jacques d'Ableiges, Grand Coutumier de France, 1, II ch. 3, p. 192. A. Esmein, Cours élémentaire d'histoire du droit français (14e éd. Génestal 1921), p. 689, note 36, p. 699 ss. E. Lambert, La fonction du droit civil comparé (1903) I, p. 113, note 2.

2 Sir W. Blackstone, Commentaries on the laws of England (1825), I, p. 290 ss.

4 Henri V, c. 5 (1416), Statutes at large I, p. 506 ss.

als na ouder gewoonte", comme cela est reçu d'après une ancienne coutume. 1

On remarque plusieurs fois que la coutume se montre plus forte que le droit écrit et que ce dernier finit par tomber en désuétude, de sorte que c'est le droit coutumier originaire qui est remis en vigueur. Ce phénomène s'est produit dans le développement historique du fameux jus albigenatus, le droit d'aubaine, ce droit régalien, originairement coutumier, en vertu duquel le roi — et bientôt aussi tout prince et souvent le simple seigneur même pouvait s'attribuer la succession des étrangers décédés sur son territoire. Quelque radicalement que l'empereur Frédéric II voulût abolir le jus albigenatus, dans une constitution de 1220 qu'un ordre suprême fit ajouter au Code Justinien et qu'environ un siècle après, en 1315, le roi de France, Louis X, adopta pour ses pays dans une forme quelque peu modifiée, cette constitution n'a eu que peu ou point d'effet; l'abolition du droit d'aubaine ne date que d'une époque beaucoup plus rapprochée. Un retour pareil eut lieu surtout dans les pays latins comme l'Espagne, l'Italie, la France, en une matière que nous avons déjà touchée, savoir l'ancien droit coutumier de s'approprier les épaves. Les lois nationales qui voulaient abolir cette coutume furent chaque fois trouvées trop faibles pour atteindre ce but. 2

Ainsi le droit qui régissait les relations internationales, faisait partie, dans chaque Etat, du droit national en vigueur, notamment du droit coutumier. Par exemple: en 1604 se pose en Hollande la question que la science de l'époque faisait ressortir du droit des gens, c'est à dire celle de savoir si le butin de guerre fait par une grande société comme la Compagnie des Indes orientales, concessionnaire de l'Etat, co-belligérante de sa propre autorité, revenait à cette société ou au fisc. Eh bien on entend l'avocat-fiscal affirmer que, d'après le droit et la coutume du pays de Hollande et de la Frise occidentale, le butin — dans l'espèce un navire portugais avec chargement devait échoir au fisc. 3

1 J. Dumont de Carels-Croon, Corps universel diplomatique (1726—1731) tom. IV, part. II, p. 273. — Recueil van de Tractaten der Staten-Generaal van de Vereen. Ned. tr. n°. 1, art. 5.

2 Curia Roncaliae (1158), Definitio regalium, Mon. Germ. L. L. IV, 1, p. 244. Constitution de Frédéric II de 1220, art. 9 (Mon. Germ. Leg. Sect. IV, Constit. et acta publ. imp. II, p. 109). P. Viollet, Histoire du droit civil français (1893), p. 365 ss. S. J. Fockema Andreae, Het oud-Nederlandsch Burgerlijk Recht (1906, I, p. 81 ss.-H. Wheaton, Histoire des progrès du droit des gens (1846) I, p. 19 ss. 3 R. Fruin, Een onuitgegeven werk van Hugo de Groot, Verspreide Geschriften

Voilà quant à la coutume. Outre celle-ci nous voyons le droit romain dans une certaine mesure exercer son influence sur la pratique.

Ici aussi nous avons à notre disposition plus particulièrement des données anglaises. Elles démontrent comment, au début, le droit romain s'appliquait aux matières touchant les relations des peuples, mais combien ce droit perdit peu à peu du terrain pour faire place au common law. C'est ainsi qu'à la séance du Parlement du 4 juin 1535, on voit adopter une loi contre la piraterie. Dans le préambule de la loi est d'abord développé le motif pour lequel la loi fut décrétée. Il y est dit entre autres qu'il arrive souvent que des pirates, voleurs et assassins restent impunis, parce que le jugement de leurs crimes confié à l'amiral ou à son lieutenant, devait avoir lieu d'après les principes du droit romain-le civil lawet que l'esprit de ce vieux droit ne permettait de condamnations à mort que sur l'aveu du coupable, ou seulement d'après que la réalité du fait fût clairement démontrée par d'autres preuves suffisantes. Après quoi la loi confirme la compétence judiciaire des amirautés et la règle dans ses détails, confiant aux juges "to here and determyne suche offences after the cōmen course of the Lawes of the Lande usid for felonyes done and comyttid within the Realme". A cette occasion on peut rappeler la lutte menée par Gentilis dans la question de savoir quel était le droit qui en général devait s'appliquer dans l'appel des sentences rendues par les juges d'amirauté. Fallait-il alors adopter le common law ou le droit romain? Gentilis se prononce pour ce dernier, car les juges d'amirauté sont obligés d'appliquer ce droit. Allait-on prescrire pour l'instance supérieure un autre droit basé sur de tout autres principes, l'annulation du jugement serait alors presque toujours inévitable. Mais, de plus, pour ce qui regarde les rapports des étrangers, le common law n'est pas le droit qui convient. Dans cette matière tout le monde adopte le droit romain comme jus gentium! Et Gentilis se met à citer, entre autres, la déclaration de Pierre Faber qui atteste que la plus grande partie du jus gentium est du droit romain et est universellement adoptée en occident. 1

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V. aussi Grotius, De jure belli ac pacis, Lib. III, c. 6.

· Ayala, De jure et officiis bellicis etc. lib. I cap. V, loc.

A. Gentilis, His

1 27 Henr. VIII, c. 4 (1535), Statutes at large II, p. 221. panicae Advocationis libri duo, lib. 1, cap. XXI, loc. cit. p. 95 ss. Voir aussi cap. XXV, p. 114, 115.

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