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Au point où était parvenu la science à ce moment, cela a été le grand mérite de Wolff de n'avoir pas admis entièrement la complète assimilation du droit naturel pour les individus avec celui pour les Etats; et en plus d'avoir accordé dans le droit naturel qui régit les Etats, une place non seulement à la morale, mais aussi à d'autres facteurs, comme l'utilité et l' efficacité, d'après la nature des sujets auxquels le droit s'adresse. Barbeyrac, auteur antérieur à Wolff, avait déjà signalé en passant la différence qui existe entre les individus et l'Etat comme sujets de droit et l'influence que cette différence peut avoir sur les droits et les devoirs des individus et de l'Etat. Wolff approfondit la question et c'est là la première grande différence entre sa doctrine et celle de Pufendorf et de son école. l'Etat, expose Wolff, personne morale composée de plusieurs hommes, est un sujet de droit d'une autre nature que le seul homme, il est donc susceptible d'autres droits et d'autres devoirs que ce dernier. De même que dans les rapports des hommes entre eux, l'austère droit naturel est à plus d'un point de vue relâché dans chaque Etat par le droit positif sans trop faire violence au droit naturel - souvenons-nous de la règle d'Ulpien sur ce point, dans 1. 6. Dig. de just. et jure 1,1, ainsi il s'est formé à côté du droit naturel pur, originaire, sur la base de ce même droit, un droit plus large pour régir les Etats entre eux; un droit qui sans suivre servilement le droit naturel, ne s'en écarte pas toutefois outre mesure. Tel est le jus voluntarium, le droit volontaire. Tenant compte des situations telles qu'elles se présentent à une époque donnée, et prenant en considération le bien-être général, le commune omnium bonum", qui rapproche les peuples aussi bien que les individus, ce droit permet aux Etats, pour éviter de plus grands maux, d'exécuter impunément des actes certes non conformes au droit naturel. C'est un droit dont les effets se produisent extérieurement; à l'intérieur, dans le for de la conscience, ses règles n'obligent pas nécessairement. Il est fondé sur

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chap. 21 (Oeuvres 1873, tom. II, p. 47). Grégoire, Déclaration du droit des gens, art. 3. Portalis, voir ann. précédente. — G. de Rayneval, Institutions du droit de la nature et des gens (2e éd. 1803), liv. I, chap. 1, par. 8, liv. 2, chap. 1, par. 3, p. 6, 7, 130. - James Wilson, Works I, p. 74, cité par J. S. Reeves. The influence of the law of nature upon international law in the United States, American Journal of international law, 1909, p. 553, 554. F. Galiani, De' dovere de' Principi neutrali verso i Principi guerreggianti e di questi verso neutrali (1782), lib. 1, cap. 2, p. 15, 20, 21 (traduction allemande de Cäsar, 1790, p. 18, 26). - J. Mackintosh, dans C. Hansard, The parliamentary Debates, XXX, (1815), p. 915, annotation, et dans Wheaton, Histoire II, loc. cit. p. 176, 177, 394.

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le but et la tendance de cette grande communauté des peuples, dans laquelle la nature a voulu réunir tous les hommes; communauté à laquelle tous les peuples appartiennent non de par leur libre volonté, mais en vertu d'une obligation, d'un engagement qui se forme par quasi-contrat, communauté qui constitue une seule grande république dont les Etats magna civitas sont membres et dans laquelle la majorité décide. Figurons-nous dans cette grande communauté un dominateur qui détermine les droits et les devoirs des Etats entre eux d'après la raison, selon les règles de la nature, encore que ce soit dans la forme modifiée que nous avons indiquée tout-à-l'heure.

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Les disciples de Wolff ne sont pas allés jusqu'à adopter l'idée de la magna civitas, telle que l'imagine Wolff. Vattel, tout en admettant l'existence d'une communauté universelle d'Etats, édifie le droit des gens sur une sorte de bien-être général des peuples résultant de leur liberté naturelle, leur commerce mutuel et leurs obligations réciproques. Et Rutherforth veut qu'on suive: "the dictates of right reason ... collected by arguing from the condition and circumstances of mankind, when they are considered as formed into such- i.e. civil-societies".

On ne manquera pas de se demander: le droit ébauché ici etait-ce bien du droit naturel? Wolff et Vattel admettent, en effet, une volonté présupposée des Etats et appellent leur jus voluntarium, s'écartant sous tant de rapports du droit naturel austère, du droit positif. Et Rutherforth suit l'hypothèse de volonté en tant que les Etats se reconnaissent mutuellement comme personnes morales.

En effet, toute cette construction juridique fait penser, sous plus d'un point de vue, au droit des gens volontaire, décrit par Grotius; car ici aussi nous voyons un droit, ne s'écartant pas trop du droit naturel, pour éviter de plus grands maux et dont les effets sont extrinsèques, ne liant pas toujours le for intérieur. Mais les propriétés caractéristiques, faisant du droit cité de Grotius un droit positif: le libre consentement des peuples, réel, quoique tacite, se manifestant dans la coutume, faisaient défaut. Le consentement était si peu libre chez Wolff et chez Vattel, que, si un Etat ne s'y résignait pas, la nature donnait le consentement pour cet Etat, et que celui-ci par son obstination s'exposait à violer le commun droit des gens. C'est pourquoi leur jus gentium volontarium s'appliquait aussi aux Etats culturaux nouvellement découverts, indépendamment de toute coutume.

Le libre consentement qui se manifeste dans la coutume, faisant défaut, nous avons devant nous, comme l'a si clairement vu Rutherforth, un droit naturel, un droit né par la force des choses, de la situation présente et des circonstances, engendré par les exigences et les besoins du moment, un droit des gens naturel modifié", un droit naturel appliqué" (Fichte). On parlerait maintenant de droit naturel moderne". 1

Comme nous l'avons dit, ce droit des gens naturel modifié n'était pas construit purement sur la morale, mais aussi sur l'utilité et l'efficacité. C'était le droit des gens qu'on caractérisait comme l'application de la justice naturelle aux intérêts des peuples" (Lampredi). Ainsi fut accepté un système que beaucoup d'autres avant et après Wolff ont suivi, un système qui fonde le droit naturel sur le bien commun, tant matériel que moral; les auteurs anglais surtout adoptèrent ce point de vue. Lex naturae est propositio a natura rerum ex Voluntate Primae Causae menti satis aperte oblata vel oppressa, actionem indicans Bono Rationalium communi deservientem”, définissait déjà Cumberland avant Wolff. 2

Quel était dans l'enchaînement des théories du droit naturel, le rapport entre le droit naturel liant mutuellement les Etats, et les coutumes établies parmi les Etats ainsi que les traités conclus par eux?

Les écoles du droit des gens, celle de Pufendorf et de ses disciples comme celle de Wolff et des siens, se sont opposées

1 J. Barbeyrac, Traduction de Grotius. De jure belli ac pacis (Amsterdam 1724), note 3 ad lib. I, cap. I, par. 14, p. 56. Wolff, Institutions, loc. cit. Tom. II, 4e partie, Préface et chap. I, par. 1088—1090, p. 183.— Wolff, Jus gentium methodo scientifico pertractatum (Halle-Magdebourg, 1794), par. 1—26, p. 1—19. — Vattel, Le droit des gens, loc. cit. vol. I, préface p. XI s., XVII s., Préliminaires par. 21, vol. I, p. 11 ss.; Livre III, chap, 12, par. 188 ss., 192, vol. II, p. 163 ss. — Th. Rutherforth, Institutes of natural law (Cambridge, 1756) Lib. II, cap. IX, par. 5. Tome II, p. 472-474. Voir aussi G. Achenwall, Juris naturalis pars posterior, (Göttingen, 1774) par. 209, 213, p. 193, 196 ss. - D. H. L. Freiherr von Ompteda, Litteratur des gesammten sowohl natürlichen als positiven Völkerrechts (Ratisbonne, 1785), par. 3, 9, 16, p. 9, 25 ss., 43 ss. G. F. de Martens, Précis du droit des gens moderne de l'Europe (1789), Introduction, par. 4, note a, p. 6.

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2 R. Cumberland, De legibus naturae disquisitio philosophica et philosophiae Hobbianae refutatio (London 1672), cap. V, par. 1, p. 185. — K. G. Günther, Europäischen Völkerrecht in Friedenszeiten (1787), I, p. 3—5. — J. G. Fichte, Grundlage des Naturrechts, 2e partie, Angewandtes Naturrecht j° Grundriss des Völkerrechts und Weltbürgerrechts, Werke (1845), III, p. 189 ss., jis 150 ss., 369 ss. Lampredi, Commerce des neutres, 1e partie, par. I, p. 41, note. — Voir aussi J. Charmont, La renaissance du droit naturel (1910), p. 95 ss., et plus loin p. 91.

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avec plus ou moins de force au jus gentium voluntarium de Grotius qui se basait sur le consentement des Etats se manifestant dans les coutumes. Tous ne se sont pas servi de termes aussi durs que ceux employés par Barbeyrac, Samuel Cocceii et Burlamaqui, qui traitent ce droit de Grotius de "pure chimère" d'élucubration sentant la fable, de simple fiction, fabulam sapiunt", „merum figmentum". Mais tous s'accordent à contester à la coutume sa capacité de concourir à la formation du droit qui nous occupe. Cette contestation peut se résumer comme suit. Le droit positif non écrit peut trouver seulement son expression dans la coutume. Mais la coutume, pour créer le droit, doit exister de temps immémorial et d'une façon ininterrompue; or, pareilles coutumes n'existent pas entre Etats. On ne peut citer aucun fait qui établisse un consentement tacite entre eux. D'ailleurs, en admettant même l'existence de coutumes universelles, cela ne démontrerait pas encore la nécessité de continuer de les observer. Du fait qu'on a répété souvent une chose, il ne résulte nullement qu'on veuille en cette matière se lier aussi pour l'avenir, tandis que pour les Etats qui ne suivaient pas la coutume, il manque, a fortiori, toute obligation. On peut en outre considérer que des coutumes universelles sont souvent déraisonnables, consistant en abus, auxquels on ne peut reconnaître de force obligatoire. Combien de fois ne voit-on pas les coutumes dominées par l'esprit de parti et les intérêts particuliers ces obstacles éternels à la vérité", qui ont achevé d'épaissir les nuages qui couvrent .... la science des loix universelles" (Hubner)? Enfin on fait encore observer ceci: dans l'Etat, la coutume n'a force de loi, que parce que le souverain la lui accorde tacitement. Mais il ne peut être question de quelque chose de pareil dans les rapports mutuels des Etats.

Voilà pour la critique. Mais dans l'application il faut faire une distinction entre la doctrine de Pufendorf et son école d'une part, et celle de Wolff et Vattel à la quelle d'autres encore adhèrent sur ce point, comme Burlamaqui et James Wilson et aussi partiellement Hubner d'autre part.

Ici nous touchons à la deuxième grande divergence entre la

Barbeyrac, dans la traduction de Grotius, De jure belli ac pacis, op. cit., note 3 ad lib. I, cap. I, par. 14, p. 56; et dans sa traduction de Pufendorf, De jure naturae et gentium (Amsterdam 1706), les notes ad lib. 2, cap. 3, par. 23, p. 195 ss. - Sam. L. B. de Cocceii, Introductiones ad Henr. L. B. de Cocceii Grotium illustratum (Halle, 1748), diss. prooemialis, IV, par. 47, p. 71. Burlamaqui, Principes du droit de la nature et des gens, Tom. VI, chap. I, par. 8, p. 9 ss.

doctrine de Pufendorf et ses adeptes et celle de Wolff et son école.

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D'après la doctrine des premiers c'est dans les relations des peuples le droit naturel qui domine tout. Son empire y est unique et exclusif. C'est ainsi que cette doctrine range toutes sortes de règles, placées par Grotius dans le jus gentium volontarium positif celles concernant le droit de guerre, les représailles, l'inviolabilité des ambassadeurs, les funérailles, que cette doctrine, disons-nous, range toutes ces règles sous la dépendance du droit naturel, comme étant basées sur des principes naturels et d'humanité. Comme exemple de l'influence qu'exerçait cette conception, notons que Montesquieu aussi fondait l'immunité des ambassadeurs non sur le consentement des peuples, mais sur la raison tirée de la nature de la chose".

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Dans les relations mutuelles des peuples les coutumes ne doivent donc jamais, à vrai dire, être suivies, si ce n'est lorsqu'elles ont pour base une loi naturelle impérative. Mais c'est alors cette dernière et non la coutume, qui a force obligatoire; alors, les coutumes ne lient pas comme telles, mais en vertu du code universel des nations qui les érige en devoirs". Les traités dépendent des règles du droit naturel pacta sunt servanda", et doivent s'interpréter selon ce droit. D'ailleurs, leur teneur n'est pas du droit, mais un simple fait, de l'histoire.

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Dans l'autre doctrine celle de Wolff, Vattel, Burlamaqui et autres on découvre à l'encontre du strict point de vue de Pufendorf et des siens, un certain revirement. Car les auteurs que nous venons de nommer placent, à côté du droit naturel universellement obligatoire avec ou sans modifications, des règles fondées sur un consentement effectif, soit tacite, comme la coutume, soit exprès, comme les traités. Cependant ces règles ne se basent pas sur des principes et sur la raison, mais simplement sur des faits et sur l'histoire. Ce droit ne s'impose ainsi que comme jus arbitrarium et liberum, comme un droit des gens particulier. La vertu de ces règles n'est pas universelle comme l'empire du droit fondé sur la raison, car elle ne va pas plus loin que les Etats qui suivent la coutume ou qui ont signé le traité. La règle

1 Pufendorf, De jure naturae et gentium, lib. 2, cap. 3, par. 23, loc. cit. p. 220. — C. Thomasius, Institutionum jurisprudentiae divinae libri tres (éd. 1730), lib. I, cap. 2, par. 101 ss., spécialement 107, 109, p. 50, 51. Thomasius, Fudamenta

juris naturae et gentium (Halle-Leipsic, 1718), lib. 1, cap. 5, par. 75, 78, p. 162, 163. Hubner, Saisie des bâtiments neutres, liv. I, 1e partie, chap. I, par. 4, 7, p. 6, 8 ss., et 2e partie, par. 1, p. 171 ss. — Montesquieu, De l'Esprit des lois, liv. XXVI, ch. 21, Oeuvres 1873, tom. II, p. 145.

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