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INTRODUCTION

La première question que nous voulons traiter dans ce livre, est celle-ci: les précurseurs immédiats de Grotius-c'est à dire les savants du XVIe et du commencement du XVIIe siècleconnaissaient-ils un droit qui régissait les rapports entre les peuples, et dans l'affirmative, comment concevaient-ils ce droit? Nous devons rechercher pour cela quelles étaient leurs idées concernant le droit naturel et le droit des gens, idées, qui ont leurs racines dans l'antiquité classique et dans la doctrine de l'Eglise chrétienne. Esquissons rapidement et à grands traits comment à cet égard la sagesse des anciens est venue jusqu' aux générations postérieures.

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Chez les Grecs et les Romains se détachent vivement deux notions du droit naturel.

La première, tirant sans doute son origine de la philosophie de Pythagore, connaissait le droit naturel en tant que droit régissant tous les êtres vivants, hommes et animaux, à raison de leur aptitude sensible. Telle est, parmi les jurisconsultes romains, la doctrine d'Ulpien, lequel cite comme exemples de droit naturel le rapport des sexes, la procréation et l'éducation des enfants. 2

1 R. W. Carlyle et A. J. Carlyle, A history of mediaeval political theory in the West (1903, 1909) (renseignement de M. Huizinga). — V. Cathrein S. J., Recht, Naturrecht und positives Recht (1909), p. 180 et s.; Die Grundlage des Völkerrechts (1918), p. 29 et s. et les auteurs cités. Voir aussi J. Goebel, The Equality of States, dans Columbia Law Review, XXIII (1923), p. I et S., 113 et s. et 247 et s.

2 Ulp. 1. 1 par. 3, 4. Dig. de just. et jure, I, 1; pr. Inst. 1, 2. Voir pour la source de ces passages, Démosthène, Contra Aristogit. I par. 65 (Opera, éd. Voemelius, p. 412); Cicéron, De republica III, 11, par. 19 (éd. Galbiati-Pascal 1916, p. 78, 79); aussi chez Voigt, Das jus naturale, aequum et bonum und jus gentium der Römer (1856-1876). Tome I, p. 289 junctis 131, 141. Comp. aussi: Cujas, Recitationes solemnes ad librum primum Digestorum, ad tit. de just. et jure; par. 2 hujus studii (Opera, Paris. 1658, Tomi quarti pars prior, Tome 7, p. 13 et s., e. a. p. 15). (E. a. renseignements de M. Naber et Hesse). Dalloz, Répertoire de Législation, etc. (1852), i. v. Droit naturel et des gens ch. 2 no. 8 (tome XIX p.

D'après l'autre notion du droit naturel, professée celle-ci en Grèce dans des strophes éternellement belles de Sophocle, plus tard par Aristote et l'école stoïcienne et à Rome par Cicéron et Sénèque, et que Cicéron surtout défendit et développa, le droit naturel est un droit propre seulement à l'homme, basé qu'il est d'ailleurs sur la raison naturelle, la recta ratio" que la Divinité a départie seulement à l'homme. C'est le droit éternellement juste et bon qui indépendamment de tout décret humain, ordonne à l'homme de faire le bien et lui défend de commettre le mal; un droit dont le domaine est universel et qui régit également tous les peuples, un droit à la sujétion duquel personne, ni aucune loi humaine ne peut nous soustraire. Ni l'autorité d'un sénat, ni un intérêt social ne peuvent changer ni abolir les droits naturels. Né avec le genre humain, le droit naturel est antérieur et supérieur au droit humain. Parmi les jurisconsultes romains, Gaius et Paul sont les principaux représentants de cette notion du droit naturel. 1

Pour ce qui concerne le rapport entre le droit naturel et le droit des gens, ces droits sont, dans la doctrine d'Ulpien, très nettement distincts l'un de l'autre. En effet, Ulpien oppose au droit naturel, valable pour tous les êtres animés, le droit des gens, valable seulement pour les hommes, comme étant le droit qui est commun à divers peuples. Les deux droits ne concordent pas toujours. Ainsi l'esclavage, introduit par le droit des gens, est contraire à la liberté, oeuvre du droit naturel, car de par le droit naturel tous les hommes sont égaux.

3) fait délivrer cette doctrine d'Epicure; l'auteur de: Grotius and the sources of international law, dans la "Edinburgh Review", vol. CXII, p. 392 la fait dériver de la philosophie stoïcienne.

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1 Sophocle, Antigone, vers 450 et ss., The plays and fragments, with translation, (éd. Sir R. Jebb, Cambridge 1909), p. 88 et s. Aristote, Ethica Nicomachea V, 7, 1134b, I. 2; Rhetorices I, 13, 1373 b, 1. 2 (Opera Omnia, éd. Didot 18741878, tome II, p. 60, tome I, p. 340). Cicéron, De natura deorum I, 14, (éd. Plasberg 1917, p. 15); De legibus 1, 12, 15, 16 (éd. du Mesnil 1879, pp. 43, 55 et s., 57 et s.); De republica 3, 22, op. cit. p. 84, 85. — Sénèque, Epistola IV, 10, De beneficiis lib. 4, c, 12, 17 (Opera quae supersunt 1914, resp. vol. 3. éd. Hense, p. 9, vol. I fasc. II; éd. Hosius, p. 90 et s., 95 et s.); Ad Marciam de Consolatione VII, 3, De ira I, 6 (diologorum libri 12, 1917, éd. Hermes II p. 160, I p. 53). Voir aussi Carlyle op. cit. pp. 19, 20. J. Stobaeus, Eclogae II c 4 (éd. Anvers, 1575, p. 166–170).

Gajus 1. 9. Dig. de just. et jure 1, 1; 18 Dig. de capit. min. 4, 5; l. 2 par 1. Dig. de usufr. ear. rer. 7, 5; l. 1 Dig. de acq. rer. dom. 41, 1; Paul 1. 11 Dig. de just et jure I, 1; par. I Inst. 1, 2, etc. -Voigt loc. cit. p. 278 et s. Appendix, IV, p. 558.

Dans l'autre notion du droit naturel toutefois, ce droit s'identifie avec le droit des gens. L'harmonie entre tous les peuples, proclame Cicéron, doit être considérée comme une loi naturelle, et Gaius formule nettement: Quod vero naturalis ratio inter omnes homines constituit, id apud omnes peraeque custoditur vocaturque jus gentium, quasi quo jure omnes gentes utuntur". Outre l'esclavage, les jurisconsultes - Hermogénien, Pomponius, les Institutes citent comme institutions et situations du droit des gens: les guerres, la captivité, l'inviolabilité des ambassadeurs, la division de l'humanité en différents peuples, les formes de gouvernement, la propriété privée, le bornage des propriétés, la construction d'habitations, le trafic et certaines conventions usuelles: la vente, le louage, la société, le dépôt, le prêt et d'autres encore. Notons, en passant, qu'à Rome le droit des gens en se développant, s'est transformé de droit pérégrin en droit commun.

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Les jurisconsultes romains s'accordent en tant qu'ils placent comme droit propre, à côté du droit commun droit naturel, droit des gens le droit en vigueur séparément chez chaque peuple, le droit civil, lequel, d'après Ulpien, ne s'éloigne pas complètement du droit commun, ni ne le suit servilement en tout, mais peut, en des cas particuliers seulement, y ajouter ou en ôter quelque chose.

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Par rapport au droit naturel, il n'est pas sans intérêt pour le but que nous poursuivons, de noter qu'on rencontre chez les philosophes et les jurisconsultes romains l'idée d'impulsion naturelle aux relations sociales, de l'affinité naturelle entre les hommes, d'un amour de l'homme pour son prochain. Cicéron parle de ,,naturalis quaedam congregatio", d'une societas omnium inter omnes". „Natura propensi sumus ad diligendos homines, quod fundamentum juris est", proclame-t-il et le jurisconsulte Florentin trouve inoui d'agir traîtreusement envers son prochain, quum inter nos cognationem quandam natura constituerit"."

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1 Cicéron I Tusc. 13 (éd. Fischer 1863, p. 22). — Ulp. 1. 32 Dig. de div. reg. jur. 50, 17. — Hermogénien 1. 5 Dig. de just. et jure, 1, 1. — Par. 2 Inst. 1, 2. Pompon. lib. XXXVII ad Quintum Mucium, 1. 17 Dig. de legationibus, 50, 7. Voir aussi la note précédente, les ouvrages de Voigt, des Carlyle et Cathrein. Von Savigny, System des heutigen Römischen Rechts (1840), I, par. 22, note et annexe I, p. 105, 413 et s.. -J. Westlake, Chapters on the principles of international law, 1894, p. 18 et s.

2 Ulp. 1. 6 Dig. de just. et jure 1, 1.

3 Cicéron, De republica, 1, 25, op. cit. p. 21; De officiis 3, 17 (éd. Heine 1866, p. 217), De legibus I, 15, 43, op. cit. p. 57. Florentin 1. 3 Dig. de just. et jure, I, 1.

On peut encore noter qu'on rattache au culte de Saturne la tradition d'une période de vie patriarcale, une époque de félicité, de travail salutaire, de règne de l'ordre social, où aucun homme ne fut esclave, aucun bien ne fut propre à personne, toutes choses restèrent communes et appartenaient par indivis à tous comme un patrimoine commun; l'âge d'or chanté par les poètes, suivi plus tard par l'âge de fer, où le travail que l'homme exécutait, ne suffisant plus à son entretien, il fallait chercher un travail nouveau, lequel était propice aux penchants égoistes et méchants. 1 Cette représentation devait avoir plus tard sur la conception du droit naturel et du droit des gens une influence considérable.

Voilà pour le monde ancien. Venons-en à l'influence du Christianisme.

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Les pères de l'Eglise Saint Augustin, Origène, Tertullien, Saint Jérôme, Saint Ambroise et d'autres - en étaient arrivés, à l'égard du droit naturel, à une conception qui correspond étroitement à la doctrine d'Aristote et de ses disciples. Le point de départ des considérations des pères de l'Eglise était souvent la remarque de l'apôtre Paul dans l'épître aux Romains: que les gentils qui n'ont pas reçu la loi de Moïse, ont une loi qui est écrite dans les coeurs. Ils sont eux mêmes leur loi et seront jugés, au jour du jugement, d'après cette loi qui leur apprend ce qui est bon et ce qui est mauvais. 2 Ainsi les pères d' l'Eglise, eux aussi, acceptent la loi naturelle que Dieu a gravée dans le coeur des hommes: la loi qui contient l'éternelle volonté divine, qui régit toutes les nations, qui n'est ignorée d'aucun homme et qui, née avec nous, surgit du plus profond de la nature même. Saint Augustin dit qu'aucune loi n'est juste et légitime que les hommes n'aient déduite de l'éternelle loi divine. En tant que cela concernait des institutions juridiques qui s'accordaient difficilement avec cette loi, on suivait un ordre d'idées qui, dans une certaine mesure, fait penser à la tradition romaine touchant l'âge d'or et l'âge de fer. Après la chute du premier homme, enseignait-on, les mêmes règles de droit ne pouvaient continuer à régir sur toute l'humanité comme avant, lorsque celle-ci se

1 Voir p. ex. Ovide, Metamorphoses, L. 1, v. 89 et s., 127 et s., (éd. Riese, 1889, p. 3, 4). — Justin, Opera omnia Lib. XLIII, 1, Oeuvres complètes, abrégé de l'histoire de Trogue Pompée, Latin et traduction, éd. Pessonneaux, Paris, p. 379. Plutarchi Vitae, Cimon, X, 8, éd. Doemner 1877, Graece et Latine, tom. I p. 579. Voir aussi Carlyle, op. cit., I, p. 19 et s., 40—44. · L. von Ranke, Weltgeschichte, 1910, I, p. 199.

2 Rom. 2, 14-16.

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trouvait dans une situation naturelle d'innocence. Ainsi l'état naturel de l'homme est la liberté; en effet il est bien donné à l'homme, créé à l'image de Dieu, de régner sur des animaux dépourvus de raison, mais non sur ses semblables doués de raison. Toutefois, en punition du péché fut introduit l'esclavage. N'est-ce pas pour la première fois qu'il est question d'esclavage dans l'Ecriture, lorsque Noé, après avoir subi l'outrage de son fils Cham, le père de Chanaan, prononce sur ce dernier la malédiction: Il sera serviteur des serviteurs de ses frères"?1 Ainsi le contenu de la loi naturelle avant et après la chute, n'est pas identique dans toutes ses parties.

Il est important pour nous d'examiner maintenant comment peu à peu l'enseignement des pères de l'Eglise et celui des philosophes et des jurisconsultes classiques se sont fondus en un seul corps de doctrine.

Deux auteurs de renom se placent ici au premier rang.

C'est d'abord Isidore de Séville. Celui-ci divise les préceptes du droit en droits divins, à savoir ceux qui se fondent sur la nature, et en droits humains, à savoir ceux qui se basent sur la coutume. Il distingue ensuite le droit en droit naturel, en droit des gens et en droit civil. Le droit naturel est le droit qui est commun à toutes les nations, du fait qu'il est reçu partout, par un instinct de la nature, instinctu naturae, et non en vertu de quelque institution humaine, constitutione aliqua. Le droit naturel se trouve dans la loi de Moïse et dans les Evangiles et nous ordonne de faire envers autrui ce que nous voulons qu'autrui fasse envers nous et de nous abstenir envers lui de faire le contraire. Comme exemples de droit naturel, Isidore énumère la communauté de l'homme et de la femme, la succession (successio) et l'éducation des enfants et encore: la commune

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1 Augustin, De civitate Dei, XIX, 15 (éd. Dombart 1908, II, p. 381, 382); Enarr. in Psalmum 57, 1, 2; Contra Faustum Manichaeum, XIX, 2; De Epistola B. Pauli ad Ephesios, c. 6 (Opera, Venise 1700, Tome 4, pars I p. 403, 404; Tome 8 p. 223; Tome 3, pars I p. 594). - Origène, Contra Celsum V, 40 (Origenes' Werke, éd. Koetschau, 1899, II, p. 44). — Tertullien, De testimonio animae V; De Corona V i. f., VI, (Opera, Paris 1564, resp. p. 67, 103). — Ambroise, Enarr. in Psalmum 36; 15 Epist. 41 (Opera, éd. Paris 1642, tome I p. 708, tome 5, p. 290, 291). — Jérôme, Epistula CXXI, 8, dans Corpus scriptorum ecclesiasticorum Latinorum, vol. LVI (1918, éd. Hilberg), p. 32 (i. f., 33. Voir en outre et en détail Carlyle, op. cit. tome I pp. 102 et s.; Cathrein, Recht, etc., pp. 201 et s.; Genèse IX, 25; Goebel, loc. cit., p. 12 et ss.

2 Luc., 6, 31.

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