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CHAPITRE II

LE DROIT NATUREL ET LE DROIT ROMAIN

Et tout d'abord, le droit naturel.

L'opinion d'Ulpien, d'après laquelle le droit naturel serait un droit qui régit tous les êtres animés, a fait son temps. Pour les animaux privés de raison on est d'accord là-dessus il n'y a pas de droit. Le droit régit seulement les êtres doués de raison, les hommes. Des classifications du droit, en rapport avec la doctrine d'Ulpien, comme on en rencontre chez les devanciers de Grotius et même encore chez celui-ci dans son „De jure praedae", ne se présentent plus. Ces classifications ne laissent leurs traces qu'une seule fois encore, et bien faiblement, chez Textor. Celui-ci admet une catégorie particulière de règles du jus gentium primaevum, dans lequel les instincts naturels que l'homme et les animaux ont de commun, jouent un rôle. Et de Rayneval fait encore, dans la fondation du droit naturel et du droit des gens, une distinction entre le principe primordial, l'instinct, le sentiment de propre conservation commun à tous les êtres animés et ce que, d'une manière particulière à l'espèce humaine, l'Auteur de la nature a ajouté: l'entendement, le jugement, la volonté. 1

La question de savoir si le droit naturel dépend, oui ou non, de la volonté de Dieu, reste à l'ordre du jour. A Grotius qui avait répondu négativement, s'oppose bientôt Pufendorf qui base le droit naturel, tout comme la religion, sur l'ordre divin, et défait ainsi le lien étroit que Grotius avait formé entre ce droit et la nature humaine, considérée en elle-même et comme indépendante du Créateur. Le point de vue de Grotius est

1 Pufendorf, De jure naturae et gentium, Lib. II, cap. 3, par. 2, loc. cit. tom. I, P. 175. Thomasius, Fundamenta juris naturae et gentium, Lib. I, cap. 5, par. 80, 81, loc. cit. p. 163. Heineccius, Elementa juris naturae et gentium, Lib. I, par. 20, p. 21. Textor, Synopsis juris gentium, c. II, no. 14, loc. cit. p. 11. — Gérard de Rayneval, Institutions du Droit de la nature et des gens (2e éd. 1803), Liv. 1, ch. I, par. 1, 2, 8-10, p. I ss., 6 ss.; liv. II, ch. 1. par. 1, 2, p. 129, 130.

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bientôt abandonné par la plupart des auteurs; on parle communément des lois de la nature données par Dieu.

Plus nombreux sont les partisans de la doctrine, bien connue déjà dans l'antiquité, d'après laquelle le droit naturel serait fondé sur le consentement de tous les hommes ou de tous les peuples, de sorte que ce consentement donnerait la mesure de ce qui est permis et de ce qui ne l'est pas. Ici aussi, c'est Pufendorf qui sonne l'attaque. Mais la proposition de Gaius: Quod naturalis ratio inter omnes homines constituit vocatur jus gentium" trouve de l'écho chez plus d'un. „Jus naturale dicitur quod idem esse solet apud plerosque homines notum", professe Thomasius et, dit-il, le droit des gens est du pur droit naturel, quia eo omnes gentes utuntur". Nous savons déjà que d'après Textor l'agrément de toute l'humanité, en même temps que la raison, était une source à laquelle le jus gentium primaevum puisait son autorité. Et en Angleterre nous aurons Blackstone pour adopter ce point de vue. 1

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Ce qui est encore important, c'est que peu à peu on se met à séparer le droit naturel de la morale, dans les relations des peuples. Nous l'avons déjà constaté: Grotius n'avait pas fait cette séparation avec toute la netteté voulue sauf dans un seul passage où l'on trouve la distinction entre les choses morales et les choses naturelles; comme c'est aussi en vain qu'on cherche cette séparation chez maint auteur de droit naturel de cette époque. Peu à peu on va développer la matière. Leibnitz distingue dans le droit naturel trois degrés: jus strictum, aequitas (plus étroitement caritas) et pietas (ou probitas). Thomasius surtout est détaillé sur ce point. On peut, dit-il, concevoir le droit naturel dans le sens large, de façon à lui soumettre toutes les prescriptions d'un caractère moral qui découlent de la raison, sans distinguer s'il s'agit de règles de droit strict plutôt que de règles que réclament l'honnêteté et la bienséance (honestas, decorum). Mais on peut restreindre aussi le droit naturel aux seules règles de

1 Pufendorf. De jure naturae et gentium, Lib. I, cap. 2, surtout par. 6; Lib. 2, cap. 3, surtout par. 4, 5, 7, 20, loc. cit. tom. I, p. 22 ss., 28 ss., 174 ss., 179 ss., 184 ss., 211 SS. - de Martens, Le droit des gens moderne, par. 29, p. 49. — Thomasius, Fundamenta juris naturae et gentium, lib. 1, cap. V, par. 60, loc. cit. p. 159; Blackstone, Commentaries on the laws of England (16e éd., 1825), Introduction, par. 2, p. 43 j° 42, Book IV, ch. 5, p. 66, 67. Voir aussi Mackintosh, chez Wheaton, Histoire des progrès du droit des gens, II, p. 395.

Inexact est Goebel, The Equality of States loc. cit. p. 273.- Pour Textor voir ci-dessus P. 80.

droit et en retrancher ce qui est commandé seulement par l'honnêteté et la bienséance. Car tout droit exerce son empire extérieurement et non dans le for intérieur, et c'est ainsi que les règles de l'honnêteté peuvent engendrer des obligations (intérieures), mais le droit qui a son effet hors de nous, voilà ce que ces règles de l'honnêteté ne créent point. Et bien qu'elles se pratiquent hors de nous, les règles de la bienséance ne sont pas impératives. Tel est le point de vue que Thomasius développe encore davantage, lorsqu'il expose que le droit naturel strict est celui qui défend de nuire à autrui et que toute la philosophie morale, l'éthique, et aussi la politique y sont étrangères.

Quoique le point de vue restreint, d'après lequel le droit naturel n'établit que des règles prohibitives dans le domaine des rapports entre peuples, quoique ce point de vue restreint ne prévalût pas, la voie était cependant frayée pour la séparation, en notre matière, entre le droit et la morale. Ce sera pour d'autres un point de départ. On va se demander quels effets Grotius avait attachés aux règles du droit naturel. Le droit naturel avait-il entre les peuples seulement des effets intérieurs, vis à vis de la conscience, ou obligeait-il aussi extérieurement? Cette question fut résolue par d'aucuns dans le premier sens. Que cette solution dans sa généralité est considérée par nous comme inexacte, voilà ce que nous avons démontré déjà.

Les considérations sur cc point mènent en fin de compte à admettre une distinction entre un droit naturel imparfait ou morale des peuples, liant seulement le for intérieur officia imperfecta, officia humanitatis, et un droit naturel parfait, obligeant extérieurement le droit des gens proprement dit" -, que, dans la pratique, les autorités des divers Etats sont tenus d'appliquer. On trouve, chez de Martens surtout, cette séparation nettement faite.

Cependant tout le monde ne se faisait pas une idée claire sur ce chapitre. La morale et le droit naturel sont encore maintes fois identifiés. C'est ainsi que dans le préambule de la Déclaration du droit des gens de l'abbé Grégoire on peut lire: „ils (les peuples) ont pour lien la morale universelle". Non moins confuse est la déclaration que fera Portalis, cinq ans plus tard, dans l'installation du Conseil des prises: "La morale est obligatoire pour les corps de nations comme pour les simples particuliers; elle est le droit commun de l'univers". 1

1 Heineccius, Elementa juris naturae et gentium, Lib. I, par. 7-9, p. 7-10. R. Cumberland, De legibus naturae disquisitio philosophica, cap. VI, loc. cit. p.

Faisons remarquer à ce propos, que bien des fois il n'est pas parlé de droit naturel", mais qu'on emploie d'autres expressions qui la plupart du temps sont synonymes de ce terme, quoique parfois dans un sens affaibli.

C'est ainsi que dans plusieurs traités de commerce et de navigation, conclus par l'Angleterre dans le cours des temps, il est dit qu'en matière de prise dans les pays co-contractants, il sera fait droit secundum Justitiae et aequitatis normam", conformément aux règles de la plus exacte justice et équité". Et d'après le traité de paix, signé entre l'Angleterre et les Etats-Unis d'Amérique en 1783, certaines mesures devront être prises conformément à la justice et (à) l'équité".

De même en vertu du traité-Jay de 1794 les commissions d'arbitrage qui y sont instituées auront à statuer selon la justice, l'équité et le droit des gens". Et n'avons-nous pas déjà vu que certains des arbitres, nommés suivant ce traité, prennent pour guide outre le droit des gens positif „les principes de la justice naturelle", „de la raison et de la justice" ou bien les principes de raison, de justice ou d'équité"?

Nous savons aussi que selon le Projet de Code civil de l'an VIII, les relations des peuples étaient régies partiellement par ,les principes de l'équité générale". Enfin les traités de paix de Gand et de Paris de 1814 - celui-ci en tant qu'il s'agit de la France et de l'Angleterre - et le congrès de Vienne en 1815 considèrent l'esclavage comme contraire aux principes de l'humanité et de la morale universelle", contraire aux „principes de la justice naturelle et des lumières du temps où nous vivons". 1

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325 ss. Vattel, Le droit des gens, Préface, loc. cit. vol. I, p. IX. — Thomasius, Fundamenta juris naturae et gentium, lib. 1, cap. V, Par. 18-21, 30, 47, 53-55, 70, loc. cit. p. 149, 151, 156 ss.; voir aussi H. E. Hall, Treatise on international law (4e éd.), p. 3, 4 note. - Leibnitz, Codex juris gentium diplomaticus, Praefatio, p. 7. de Martens, Précis du droit des gens, Introduction, par. I, p. 2. — - Von Ompteda, Litteratur des gesammten Völkerrechts, Par. 1, loc. cit., p. 6, 7 sub d. - Déclaration du droit des gens, art. I. - - Portalis chez Wheaton, Histoire II, loc. cit., p. 52.

1 Tractatus de rebus maritimis d'Angleterre et des Provinces-Unies, du 1er déc. 1674, art. XI (Recueil van de Tractaten der Staten Generaal, no. 49, 50). Traité de navigation et de commerce conclu à Versailles, 26 septembre 1786, entre l'Angleterre et la France, art. 32, A. de Clercq, Recueil des traités de la France, I, p. 160.- La convention maritime d'Angleterre et de la Russie des 5—17 juin 1801, art. VI, 1, Hertslet, Treaties and conventions between Great Britain and Foreign Powers, vol. I (1840), p. 219. Traité définitif de paix entre l'Angleterre et les Etats-Unis d'Amérique, art. V, de Martens, Recueil des principaux traités (2e éd.),

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ΙΟΙ

On continue d'ailleurs à faire des recherches pour savoir de quel esprit l'homme primitif était animé, afin d'y trouver une base à l'élaboration de systèmes concernant l'Etat et les relations entre Etats. Ce sont les mêmes oppositions dont la science nous donna le spectacle à une époque précédente, que nous rencontrons de nouveau ici.

D'une part on se représente l'état de nature comme un état de lutte. Hobbes admet à l'instar de Legnano le bellum omnium contra omnes" comme étant l'état primitif de l'humanité et il conçoit le droit naturel comme la liberté de chacun de conserver sa nature comme il le peut et comme il le veut, et de faire tout ce qui est propre à réaliser ce but. C'est dans le même esprit que s'expriment des philosophes du continent: De même que les hommes à l'état de nature sont ennemis les uns des autres enseigne Spinoza ainsi deux Etats suivant la nature sont hostiles l'un à l'autre. Tout ce qui contribue à leur bienêtre et que leurs forces les mettent en état d'atteindre, leur est permis, de sorte que chaque Etat est libre de faire la guerre, sans que l'Etat attaqué puisse se plaindre de perfidie. Car le devoir d'observer la foi jurée n'est que la règle générale et il est laissé à chaque Etat de se faire juge des exceptions. Kant aussi se représente l'état primitif comme un état de sauvage indépendance, de luttes continuelles, interrompues seulement par des périodes où, contraint par l'épuisement et par l'accablement, on fait la paix. Les Etats se trouvent dans une situation pareille, en tant que, à défaut d'une volonté impérative collective, ils sont dans un état de non-droit, dans lequel la violence est le seul arbitre. Grotius, Pufendorf, Vattel et les autres sont simplement de misérables consolateurs". Du reste, la parole donnée lie les Etats et ceux-ci, conformément à la raison, doivent tendre à se trouver autant que possible dans un état permanent de paix.

Dans la poésie on retrouve quelquefois des idées semblables. Sous l'insupportable tyrannie, affirme Schiller dans Guillaume tom. II, p. 501 jo 500. Art. VII du Traité-Jay, chez La Fontaine, Pasicrisie internationale (1794—1900), p. 52; voir ci-dessus note à la page 93, et Trumbull dans l'affaire de l'Elisabeth, chez A. de Lapradelle et N. Politis, Recueil des arbitrages internationaux, I, p. 194; voir aussi p. 13, 143.- Pour le projet de l'an VIII voir ci-dessus à la page 92. La première neutralité armée, art. II, chez de Martens, Recueil de traités (2e éd.), III, p. 196.- Le traité de Gand chez Hertslet, Treaties, II, p. 386. Le traité de Paris chez de Martens, Nouveau Recueil de traités, II, p. 15. — La Déclaration des Puissances sur l'abolition de la traite des Nègres du 8 février 1815, chez Hertslet, Treaties, I, p. 8 ss.

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