Изображения страниц
PDF
EPUB

Quant aux mystifications des maris, des tuteurs et des pères, j'imagine que vous n'y voyez point d'attaques en règle contre la société ou la morale. Ce soir, nous nous divertissons, rien de plus. Les lavements et les coups de bâtons, les mascarades et les ballets montrent qu'il s'agit de bouffonneries. Ne craignez pas de voir la philosophie périr sous les pantalonnades; elle subsiste même dans le Mariage forcé, même dans le Malade imaginaire. Le propre du Français et de l'homme du monde est d'envelopper tout, même le sérieux, sous le rire. Quand il pense, il ne veut pas en avoir l'air : il reste aux plus violents moments maître de maison, hôte aimable; il vous fait les honneurs de sa réflexion ou de sa souffrance. Mirabeau à l'agonie disait en souriant à un de ses amis: «< Approchez donc, monsieur l'amateur des belles morts, vous verrez la mienne ! » C'est dans ce style que nous causons quand nous nous montrons la vie; il n'y a pas d'autres nations où l'on sache philosopher lestement et mourir avec bon goût.

C'est pour cela qu'il n'y en a pas d'autre où la comédie, en restant comique, offre une morale; Molière est le seul qui nous donne des modèles sans tomber dans la pédanterie, sans toucher au tragique, sans entrer dans la solennité. Ce modèle est « l'honnête homme, » comme on disait alors, Philinte, Ariste, Clitandre, Éraste1; il n'y en a point d'autre qui puisse nous instruire et en même temps nous amuser. Son

1. Parmi les femmes, Éliante, Henriette, Élise, Uranie, Elmire.

esprit est un fonds de réflexion, mais cultivé par le monde. Son caractère est un fonds d'honnêteté, mais accommodé au monde. Vous pouvez l'imiter sans manquer à la raison ni au devoir; ce n'est ni un freluquet ni un viveur. Vous pouvez l'imiter sans négliger vos intérêts et sans encourir le ridicule; ce n'est ni un niais ni un malappris. Il a lu, il comprend le jargon de Trissotin et de M. Lycidas, mais c'est pour les percer à jour, les battre avec leurs règles et égayer à leurs dépens toute la galerie. Il disserte même de morale, même de religion, mais en style si naturel, en preuves si claires, avec une chaleur si vraie, qu'il intéresse les femmes et que les plus mondains l'écoutent. Il connaît l'homme et il en raisonne, mais en sentences si courtes, en portraits si vivants, en moqueries si piquantes, que sa philosophie est le meilleur des divertissements. Il est fidèle à sa maîtresse ruinée, à son ami calomnié, mais sans fracas, avec grâce. Toutes ses actions, même les belles, ont un tour aisé qui les orne; il ne fait rien sans agrément. Son grand talent est le savoir-vivre; ce n'est pas seulement dans les petites formalités de la vie courante qu'il le porte, c'est dans les circonstances violentes, au fort des pires embarras. Un bretteur de qualité veut le prendre pour témoin de son duel; il réfléchit un instant, prononce vingt phrases qui le dégagent, et, « sans faire le capitan, » laisse les spectateurs persuadés qu'il n'est pas lâche. Armande l'injurie, puis se jette à sa tête ; il essuie poliment l'orage, écarte l'offre avec la plus loyale franchise, et, sans es

sayer un seul mensonge, laisse les spectateurs persuadés qu'il n'est pas grossier 1. Quand il aime Éliante, qui préfère Alceste et qu'Alceste un jour peut épouser, il se propose avec une délicatesse et une dignité entières, sans s'abaisser, sans récriminer, sans faire tort à lui-même ou à son ami. Quand Oronte vient lui lire un sonnet, au lieu d'exiger d'un fat le naturel qu'il ne peut avoir, il le loue de ses vers convenus en phrases convenues, et n'a pas la maladresse d'étaler une poétique hors de propos. Il prend dès l'abord le ton des circonstances; il sent du premier coup ce qu'il faut dire ou taire, dans quelle mesure et avec quelles nuances, quel biais précis accommodera la vérité et la mode, jusqu'où il faut transiger ou résister, quelle fine limite sépare les bienséances et la flatterie, la véracité et la maladresse.-Sur cette ligne étroite, il avance exempt d'embarras et de méprises, sans être jamais dérouté par les heurts ou les changements du contour, sans permettre au fin sourire de la politesse de quitter jamais ses lèvres, sans manquer une occasion d'accueillir par le rire de la belle humeur les balourdises de son voisin. C'est cette dextérité toute française qui concilie en lui l'honnêteté foncière et l'éducation mondaine; sans elle, il irait tout d'un côté ou tout de l'autre. C'est par elle qu'entre les roués et les prêcheurs la comédie trouve son héros.

Un tel théâtre peint une race et un siècle. Ce mélange de solidité et d'élégance appartient au dix-sep

1. Voyez l'admirable tact et le sang-froid d'Éliante, d'Henriette et d'Elmire.

tième siècle et nous appartient. Le monde ne nous déprave point, il nous développe; ce n'étaient pas seulement les manières et l'intérieur qu'il polissait alors, mais encore les sentiments et les idées. La conversation provoquait la pensée; elle n'était pas un bavardage, mais un examen; avec l'échange des nouvelles, elle provoquait le commerce des réflexions. La théologie y entrait, et aussi la philosophie; la morale et l'observation du cœur en faisaient l'aliment quotidien. La science gardait sa séve et n'y perdait que ses épines. L'agrément recouvrait la raison sans l'étouffer. Nulle part nous ne pensons mieux qu'en société : le jeu des physionomies nous excite; nos idées si promptes naissent en éclairs au choc des idées d'autrui. L'allure inconstante des entretiens s'accommode de nos soubresauts; le fréquent changement de sujets renouvelle notre invention; la finesse des mots piquants réduit les vérités en monnaie menue et précieuse, appropriée à la légèreté de notre main. Et le cœur ne s'y gâte pas plus que l'esprit. Le Français est de tempérament sobre, peu enclin aux brutalités d'ivrognes, à la jovialité violente, au tapage des soupers sales; il est doux d'ailleurs, prévenant, toujours disposé à faire plaisir; il a besoin, pour être à l'aise, de ce courant de bienveillance et d'élégance que le monde forme et nourrit. Et là-dessus il érige en maximes ses inclinations tempérées et aimables; il se fait un point d'honneur d'être serviable et délicat. Voilà l'honnête homme, œuvre de la société dans une race sociable. Il n'en était pas ainsi en Angleterre. Les

idées n'y naissent point dans l'élan de la causerie improvisée, mais dans la concentration des méditations solitaires; c'est pourquoi alors les idées manquaient. L'honnêteté n'y est pas le fruit des instincts sociables, mais le produit de la réflexion personnelle; c'est pourquoi alors l'honnêteté était absente. Le fonds. brutal était resté, l'écorce seule était unie. Les façons étaient douces et les sentiments étaient durs; le langage était étudié, les idées étaient frivoles. La pensée et la délicatesse d'âme étaient rares, les talents et l'esprit disert étaient fréquents. On y rencontrait la politesse des formes, non celle du cœur; ils n'avaient du monde que la convention et les convenances, l'étourderie et l'étourdissement.

VII

Les comiques anglais peignent ces vices et les ont. Quelque chose s'en répand sur leur talent et sur leur théâtre. L'art y manque, et la philosophie aussi. Les écrivains ne vont pas vers une idée générale, et ils ne vont pas par le chemin le plus droit. Ils composent mal, et s'embarrassent de matériaux. Leurs pièces ont communément deux intrigues entre-croisées, visiblement distinctes1, réunies pour amonceler les événements, et parce que le public a besoin d'un surcroît de personnages et de faits. Il faut un gros courant d'ac

1. Dryden s'en vante. Il y a toujours chez lui une comédie complète amalgamée grossièrement avec une tragédie complète.

« ПредыдущаяПродолжить »