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chute de Walpole, lord Bute, qui l'avait dénoncée, fut obligé de la pratiquer et de l'accroître. Son collègue Fox changea les bureaux du trésor (pay-office) en marché, débattit son prix avec des centaines de membres, déboursa en une matinée 25 000 livres sterling. On ne pouvait avoir des votes qu'argent comptant, et encore aux moments importants ces mercenaires menaçaient de passer à l'ennemi, se mettaient en grève, et demandaient davantage. Et croyez que les chefs se faisaient leur part. Ils se vendent ou se payent en titres, en dignités, en sinécures; pour obtenir la vacance d'une place, on donne au titulaire une pension de deux, trois, cinq, et jusqu'à sept mille livres sterling. Pitt, le plus intègre de ces hommes politiques, le chef de ceux qui s'appelaient patriotes, donne et retire sa parole, attaque ou défend Walpole, propose la guerre ou la paix, le tout pour devenir ou rester ministre. Fox, son rival, est une sorte de pourri éhonté. Le duc de Newcastle, « dont le nom était perfidie, espèce de caricature vivante, le plus maladroit, le plus ignorant, le plus moqué, le plus méprisé des nobles, reste ministre trente ans et dix ans premier ministre à cause de sa parenté, de sa fortune, des élections dont il dispose et des places qu'il peut donner. La chute des Stuarts a mis le gouvernement aux mains de quelques grandes familles qui, au moyen de bourgs pourris, de députés achetés et de discours sonores, oppriment le roi, manient les passions populaires, intriguent, mentent, se chamaillent et tâchent de s'escroquer le pouvoir.

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Les mœurs privées sont aussi belles que les mœurs publiques. D'ordinaire le roi régnant déteste son fils; ce fils fait des dettes, demande au parlement d'augmenter sa pension, et se ligue avec les ennemis de son père. George Ier tient sa femme en prison pendant trente-deux ans, et s'enivre le soir chez deux laiderons, ses maîtresses. George II, qui aime sa femme, prend des maîtresses pour avoir l'air galant, se réjouit de la mort de son fils, escroque le testament de son père. Son fils aîné1 triche aux cartes, et un jour, à Kensington, ayant emprunté 5000 livres sterling à Dodington, dit en le voyant sous la fenêtre : « Cet << homme passe pour une des meilleures têtes de l'Angleterre, et pourtant, avec tout son esprit, je viens « de l'alléger de 5000 livres. » George IV est une espèce de cocher, joueur, viveur scandaleux, parieur sans probité, et que ses manœuvres manquèrent de faire exclure du Jockey-Club. Le seul honnête homme est George III, un pauvre lourdaud borné qui devint fou, et que sa mère avait tenu comme cloîtré pendant sa jeunesse. Elle donnait pour motif la corruption universelle des gens de qualité Les jeunes gens, disait-elle, sont tous des viveurs, et les jeunes fem« mes font la cour aux hommes au lieu d'attendre qu'on la leur fasse. En effet, le vice est à la mode, et non pas délicat comme en France. « L'argent, écri<< vait Montesquieu, est ici souverainement estimé,

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1. Frédéric, mort en 1751. Mémoires de Walpole, t. I, p. 76. 2. The young men were all rakes; the young women made love instead of waiting till it was made to them.

<< l'honneur et la vertu peu. Il faut à l'Anglais un bon

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dîner, une fille et de l'aisance. Comme il n'est pas

répandu et qu'il est borné à cela, dès que sa fortune « se délabre, et qu'il ne peut plus avoir cela, il se tue « ou se fait voleur. » Il y a dans les jeunes gens une surabondance de séve grossière qui leur fait prendre les brutalités pour les plaisirs. Les plus célèbres s'appelaient Mohicans, et la nuit tyrannisaient Londres. Ils arrêtaient les gens, et les faisaient danser en leur piquant les jambes à coups d'épée; parfois ils mettaient une femme dans un tonneau et la faisaient rouler ainsi du haut d'une pente; d'autres la posaient sur la tête les pieds en l'air; quelques-uns aplatissaient le nez du malheureux qu'ils avaient saisi, et avec les doigts lui faisaient sortir les yeux de l'orbite. Swift, les comiques et les romanciers ont peint la bassesse de cette grosse débauche, qui a besoin de tapage, qui vit d'ivrognerie, qui s'étale dans la crudité, qui aboutit à la cruauté, qui finit par l'irréligion et l'athéisme'. Ce tempérament batailleur et trop fort a besoin de s'employer orgueilleusement et audacieusement à la destruction de ce que les hommes respectent et de ce que les institutions protégent. Ils attaquent les prêtres par le même instinct qu'ils rossent le guet. Collins, Tindal, Bolingbroke sont leurs docteurs; la corruption des mœurs, l'habitude des trahisons, le choc des sectes, la liberté des discussions, le progrès des sciences et la fermentation des idées sem

1. Personnage de Birton, dans le Jenny de Voltaire.

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blent dissoudre le christianisme. « Point de religion, disait Montesquieu, en Angleterre. Quatre ou cinq de la chambre des communes vont à la messe ou « au sermon de la chambre.... Si quelqu'un parle de religion, tout le monde se met à rire. Un homme ayant dit de mon temps: Je crois cela comme arti«cle de foi, tout le monde se mit à rire. » En effet, la phrase était provinciale et sentait son vieux temps. L'important était d'avoir bon ton, et il est plaisant de voir dans lord Chesterfield en quoi ce bon ton consiste. De justice, d'honneur, il ne parle qu'en courant et pour la forme : « Avant tout, dit-il à son fils, ayez « des manières. » Il y revient dans chaque lettre avec une insistance, une abondance, une force de preuves, qui font un contraste grotesque. « Mon cher ami, comment vont les manières, les agréments, les grâ<< ces, et tous ces petits riens si nécessaires pour rendre un homme aimable? Les prenez-vous? y faites« vous des progrès?... Polissez-vous, ne curez point << vos ongles en société, ne mettez pas vos doigts dans « votre nez, posez bien vos pieds.... Votre maître de << danse est à présent le plus important de tous.... << Surtout laissez de côté la rouille de Cambridge.... « On m'assure que Mme de.... est jolie comme un a cœur, et que, nonobstant cela, elle s'en est tenue << scrupuleusement à son mari, quoiqu'il y ait déjà plus d'un an qu'elle est mariée. Elle n'y pense pas; «< il faut décrotter cette femme-là. Décrottez-vous « donc tous les deux réciproquement. » Et un peu après « Que vous dit Mme de...? Pour un attache

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ment, je la préférérais à Mme...; mais pour une galanterie, je donnerais la préférence à la dernière. « Tout cela peut s'arranger ensemble, et l'un n'empêche pas l'autre. » Soyez galant, adroit, délié; plaisez aux femmes; « ce sont les femmes qui met<< tent les hommes à la mode; » plaisez aux hommes; < une souplesse de courtisan décidera de votre for<< tune. » Et il lui cite en exemple Bolingbroke et Marlborough, les deux pires roués du siècle. Ainsi parle un homme grave, ancien ministre, arbitre de l'éducation et du goût1. Il veut déniaiser son fils, lui donner l'air français, ajouter aux solides connaissances diplomatiques et aux grandes visées d'ambition l'air engageant, sémillant et frivole. Ce vernis, qui à Paris est la couleur vraie, n'est ici qu'un placage choquant. Cette politesse transplantée est un mensonge, cette vivacité un manque de sens, et cette éducation mondaine ne semble propre qu'à faire des comédiens et des coquins.

Ainsi jugea Gay dans son Opéra du Gueux, et la so

1. « Les Anglais ont ordinairement vingt ans avant d'avoir parlé à quelque personne au-dessus de leur maître d'école et de leurs compagnons de collége; s'il arrive qu'ils aient du savoir, tout se termine au grec et au latin, mais pas un seul mot de l'histoire ou des langues modernes. Ainsi préparés ils se mettent à voyager; mais comme ils manquent de dextérité, qu'ils sont extrêmement honteux et timides et qu'ils n'ont point l'usage des langues étrangères, ils vivent entre eux et mangent ensemble dans les auberges. » (Lettres de lord Chesterfield.)

<< Je souhaiterais que vous les priassiez de vous donner des lettres de recommandation pour les jeunes gens du bel air et pour les coquettes sur le bon ton, afin que vous pussiez être dans l'honnête débauche de Munich. » (Ibidem.)

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