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• veiller ses droits et apprend à vénérer son titre << d'homme 1. »

Des hommes ainsi faits peuvent se passionner pour les affaires publiques, car ce sont leurs affaires; en France, ce ne sont que les affaires du roi et de Mme de Pompadour. Ici, les partis sont ardents comme les sectes gens de la haute et de la basse Église, capitalistes et propriétaires fonciers, noblesse de cour et châtelains rustiques, ils ont leurs dogmes, leurs théories, leurs mœurs et leurs haines, comme les presbytériens, les anglicans et les quakers. Le squire de campagne déblatère, après boire, contre la maison de Hanovre, et porte la santé du roi au delà de l'eau; le whig de la ville, le 13 janvier, porte celle de l'homme au masque, et ensuite de l'homme qui fera la même chose sans masque. Ils se sont emprisonnés, exilés, décapités tour à tour, et le Parlement retentit tous les jours de la fureur de leurs invectives. La vie politique, comme la vie religieuse, surabonde et déborde, et ses explosions ne font que marquer la

1.

Stern o'er each bosom reason holds her state;
With daring aims irregularly great.

Pride in their port, defiance in their eye,

I see the lords of human kind pass by;

Intent on high designs, a thoughtful band,

By forms unfashioned, fresh from nature's hand;

Fierce in their native hardiness of soul,

True to imagined right, above control,

While even the peasant boasts these rights to scan,
And learns to venerate himself a man.

(Goldsmith.)

2. Lord Chesterfield remarque qu'un Français d'alors n'entend

point le mot de patrie; qu'il faut lui parler de son prince.

3. L'exécuteur de Charles Ier.

force de la flamme qui l'entretient. L'acharnement des partis dans l'État comme dans la foi est une preuve de zèle; la tranquillité constante n'est que l'indifférence générale, et s'ils se battent aux élections, c'est qu'ils prennent intérêt aux élections. Ici, « un couvreur se fait apporter sur les toits la gazette « pour la lire. » Un étranger qui lirait les journaux << croirait le pays à la veille d'une révolution.» Quand le gouvernement fait une démarche, le public se sent engagé; c'est son honneur et c'est son bien dont le ministre dispose; que le ministre prenne garde à lui, s'il en dispose mal. Chez nous, M. de Conflans, qui par lâcheté a perdu sa flotte, en est quitte pour une épigramme; ici, l'amiral Byng, qui par prudence a évité de risquer la sienne, est fusillé. Chacun, dans sa condition et selon sa force, prend part aux affaires; la populace casse la tête des gens qui ne veulent pas boire à la santé de Sacheverell; les gentilshommes viennent en cavalcade à sa rencontre. Toujours quelque favori ou ennemi public provoque des démonstrations publiques. C'est Pitt, que le peuple acclame, et sur qui « les municipalités font pleuvoir

des boîtes d'or. » C'est Grenville, que l'on va siffler au sortir de la chambre. C'est lord Bute, que la reine aime, qu'on hue, et dont on brûle les emblèmes, une botte et une jupe. C'est le duc de Bedford, dont le palais est attaqué par une émeute, et ne peut être défendu que par une garnison de fantassins et de cavaliers. C'est Wilkes, dont le gouvernement a saisi les papiers, et à qui le jury assigne sur le gouverne

LITT. ANGL.

III-21

ment une indemnité de mille pounds. Chaque matin, les journaux et les pamphlets viennent discu ter les affaires, juger les caractères, invectiver par leur nom les lords, les orateurs, les ministres, le roi lui-même. Qui veut parler parle. Dans ce tumulte d'écrits et de ligues, l'opinion grossit, s'enfle comme une vague, et, tombant sur le Parlement et la cour, noie les intrigues et entraîne les dissentiments. Au fond, en dépit des bourgs pourris, c'est elle qui gouverne. Le roi a beau être obstiné, les grands ont beau faire des ligues; sitôt qu'elle gronde, tout plie ou craque. Les deux Pitt ne montent si haut que parce qu'ils sont portés par elle, et l'indépendance de l'individu aboutit à la souveraineté de la nation.

«

Dans un pareil état, « toutes les passions étant libres1, la haine, l'envie, là jalousie, l'ardeur de << s'enrichir et de se distinguer, paraissent dans toute « leur étendue. » Jugez de la force et de la séve avec lesquelles l'éloquence doit s'y implanter et végéter. Pour la première fois depuis la ruine de la tribune antique, elle a trouvé le sol dans lequel elle peut s'enraciner et vivre, et une moisson d'orateurs se lève, égale, par la diversité des talents, par l'énergie des convictions et par la magnificence du style, à celle qui couvrit jadis l'agora grecque et le forum romain. Depuis longtemps, il semblait que la liberté de discussion, la pratique des affaires, l'importance des

1. Montesquieu, liv. XIX, chap. XXVII.

intérêts engagés et la grandeur des récompenses offertes dussent provoquer sa croissance; mais elle avortait, encroûtée dans la pédanterie théologique, ou restreinte dans les préoccupations locales, et le secret des séances parlementaires lui ôtait la moitié de sa force en lui ôtant la plénitude du jour. Voici qu'enfin la lumière se fait; une publicité d'abord incomplète, puis entière, donne au Parlement la nation pour auditoire. Le discours s'élève et s'élargit en même temps que le public se dégrossit et se multiplie. L'art classique, devenu parfait, fournit la méthode et les développements. La culture moderne fait entrer dans le raisonnement technique la liberté des entretiens et l'ampleur des idées générales. Au lieu d'argumenter, ils conversent; de procureurs ils deviennent orateurs. Avec Addison, avec Steele et Swift, le goût et le génie font irruption dans la polémique. Voltaire ne sait si les harangues méditées qu'on prononçait autrefois dans Athènes et dans « Rome l'emportent sur les discours non préparés

du chevalier Windham, de lord Carteret » et de leurs rivaux. Enfin le discours achève de percer la sécheresse des questions spéciales et la froideur de l'action compassée1 qui l'ont comprimé si longtemps; il déploie audacieusement et irrégulièrement sa force et son luxe, et l'on voit paraître, en face des jolis abbés de salon qui arrangent en France des compliments d'académie, la mâle éloquence de Junius, de

1. Jugement d'Addison.

lord Chatam, de Fox, de Pitt, de Burke et de Sheridan.

Je n'ai point à raconter leurs vies, ni à développer leurs caractères; il faudrait entrer dans le détail politique. Trois d'entre eux, lord Chatam, Fox et Pitt, ont été ministres1, et leur éloquence est une portion de leur pouvoir et de leur action. Elle appartient à ceux qui raconteront les affaires qu'ils ont conduites; je ne puis qu'en marquer le ton et l'accent.

Un souffle extraordinaire, une sorte de frémissement de volonté tendue, court à travers toutes ces harangues. Ce sont des hommes qui parlent, et ils parlent comme s'ils combattaient. Ni ménagements, ni politesse, ni retenue. Ils sont déchaînés, ils se livrent, ils se lancent, et s'ils se contiennent, ce n'est que pour frapper plus impitoyablement et plus fort. Lorsque Pitt remplit pour la première fois la chambre des communes de sa voix vibrante, il avait déjà son indomptable audace. En vain Walpole essaya « de le « museler,» puis de l'accabler; son sarcasme lui fut renvoyé avec une prodigalité d'outrages, et le toutpuissant ministre plia, souffleté sous la vérité de la poignante insulte que le jeune homme lui infligeait. Une hauteur d'orgueil qui ne fut surpassée que par celle de son fils, une arrogance qui réduisait ses collègues à l'état de subalternes, un patriotisme romain

1. Junius a écrit sous l'anonyme et les critiques n'ont pu encore démêler avec certitude son véritable nom. Pour Sheridan, voyez tome II, p.185, et tome III, p. 408. — Pour Burke, tome III, p. 88.

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