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ses couleurs surchargées, comme un musicien suit une symphonie. Ils étaient dans cet état passager et extrême où l'imagination adulte et vierge, encombrée de désirs, de curiosités et de forces, développe tout d'un coup l'homme, et dans l'homme ce qu'il y a de plus exalté et de plus exquis.

• Des viveurs ont pris leur place. Ils sont riches, ils ont tâché de se polir à la française, ils ont ajouté à la scène des décors mobiles, de la musique, des lumières, de la vraisemblance, de la commodité, toute sorte d'agréments extérieurs; mais le cœur leur manque. Représentez-vous ces fats à demi ivres, qui ne voient dans l'amour que le plaisir, et dans l'homme que les sens: un Rochester au lieu d'un Mercutio. Avec quelle partie de son âme pourrait-il comprendre la poésie et la fantaisie? La comédie romanesque est hors de sa portée; il ne peut saisir que le monde réel, et dans ce monde l'enveloppe palpable et grossière. Donnezlui une peinture exacte de la vie ordinaire, des événements plats et probables, l'imitation littérale de ce qu'il fait, et de ce qu'il est; mettez la scène à Londres, dans l'année courante; copiez ses gros mots, ses railleries brutales, ses entretiens avec les marchandes d'oranges, ses rendez-vous au parc, ses essais de dissertation française. Qu'il se reconnaisse, qu'il retrouve les gens et les façons qu'il vient de quitter à sa taverne ou dans l'antichambre; que le théâtre et la rue soient de plain-pied. La comédie lui donnera les mêmes plaisirs que la vie; il s'y traînera également dans la vulgarité et dans l'ordure; il n'aura

besoin pour y assister ni d'imagination, ni d'esprit; il lui suffira d'avoir des yeux et des souvenirs. Cette exacte imitation lui fournira l'amusement en même temps que l'intelligence. Les vilaines paroles le feront rire par sympathie, les images effrontées le divertiront par réminiscence. L'auteur d'ailleurs prend soin de lui fournir une fable qui le réveille; il s'agit ordinairement d'un père ou d'un mari qu'on trompe. Les beaux gentilshommes prennent comme l'écrivain le parti du galant, s'intéressent à ses progrès, et se croient avec lui en bonne fortune. Joignez à cela des femmes qu'on débauche et qui veulent être débauchées. Ces provocations, ces façons de filles, le chassez-croisez des échanges et des surprises, le carnaval des rendez-vous et des soupers, l'impudence des scènes aventurées jusqu'aux démonstrations physiques, les chansons risquées, les gueulées1 lancées et renvoyées parmi des tableaux vivants, toute cette orgie représentée remue les coureurs d'intrigues par l'endroit sensible. Et par surcroît le théâtre consacre leurs mœurs. A force de ne représenter que des vices, il autorise leurs vices. Les écrivains posent en règle que toutes les femmes sont des drôlesses, et que tous les hommes sont des brutes. La débauche entre leurs mains devient une chose naturelle, bien plus, une chose de bon goût; ils la professent. Rochester et Charles II pouvaient sortir du théâtre édifiés sur eux-mêmes, convaincus comme ils l'étaient déjà que

1. Mot de Le Sage.

la vertu n'est qu'une grimace, la grimace des coquins adroits qui veulent se vendre cher.

VIII

Dryden, qui un des premiers1 entre dans cette voie, n'y entre pas résolûment. Une sorte de fumée lumineuse, reste de l'âge précédent, plane encore sur son théâtre. Sa riche imagination le retient à demi dans la comédie romanesque. Un jour il arrange le Paradis de Milton, la Tempête et le Troilus de Shakspeare. Un autre jour, dans l'Amour au Couvent, dans le Mariage à la mode, dans le Faux Astrologue, il imite les imbroglios et les surprises espagnoles. Il a tantôt des images éclatantes et des métaphores exaltées comme les vieux poëtes nationaux, tantôt des figures recherchées et de l'esprit pointillé comme Calderon et Lope. Il mêle le tragique et le plaisant, les renversements de trônes et les peintures de mœurs. Mais dans ce compromis maladroit l'âme poétique de l'ancienne comédie a disparu il n'en reste que le vêtement et la dorure. L'homme nouveau se montre grossier et immoral, avec ses instincts de laquais sous ses habits de grand seigneur, d'autant plus choquant que Dryden en céla contrarie son talent, qu'il est au fond sérieux et poëte, qu'il suit la mode et non sa pensée, qu'il fait le libertin par réflexion, et pour se mettre au goût du jour 2. Il

:

1. Son Wild Galant est de 1662.

2. « We love to get our mistresses, and purr over them, as cats

polissonne maladroitement et dogmatiquement; il est impie sans élan, en périodes développées. Un de ses galants s'écrie: « Est-ce que l'amour sans le prêtre et l'autel n'est pas l'amour? Le prêtre est là pour

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son salaire et ne s'inquiète pas des cœurs qu'il unit. L'amour seul fait le mariage1.»--« Je voudrais, dit Hippolyte, qu'il y eût un bal en permanence dans « notre cloître, et que la moitié des jolies nonnes y « fût changée en hommes pour le service des autres.» Nul ménagement, nul tact. Dans son Moine espagnol, la reine, assez honnête femme, dit à Torrismond qu'elle va faire tuer le vieux roi détrôné pour l'épouser, lui Torrismond, plus à son aise. Bientôt on leur annonce le meurtre : « Maintenant, dit la reine, ma«rions-nous. Cette nuit, cette heureuse nuit, est à << vous et à moi. » A côté de cette tragédie sensuelle,

do over mice, and then let them get a little way, and all the pleasure is to pat them back again. >>

Wildblood dit à sa maîtresse : I am none of those unreasonable lovers that propose to themselves the loving to eternity. A month is commonly my stint. » Et Jacintha répond: « Or would

-

not a fortnight serve our turn? » (Mock Astrologer.)

Souvent, à la barbarie de ses plaisanteries, on dirait qu'il traduit Hobbes.

1.

Is not Love love without a Priest and Altars?

The temples are inanimate, and know not

What vows are made in them; the Priest stands ready

For his hire, and cares not what hearts he couples.

Love alone is marriage....

2. I wished the ball might be kept perpetually in our cloyster, and that half the handsome nuns in it might be turned to men, for the sake of the other.

3. This night, this happy night is yours and mine.

Et tout à côté on rencontre des allusions politiques. Cela peint le

l'intrigue comique, poussée jusqu'aux familiarités les plus lestes, étale l'amour d'un cavalier pour une femme mariée qui à la fin se trouve être sa sœur. Dryden ne trouve dans ce dénoûment rien qui froisse son cœur. Il a perdu jusqu'aux plus vulgaires répugnances de la pudeur naturelle. Quand il traduit une pièce hasardée, Amphitryon, par exemple, il la trouve trop modeste; il en ôte les adoucissements, il en alourdit le scandale. « Le roi et le prêtre, dit Jupiter, << sont en quelque manière contraints par convenance « d'être des hypocrites bien masqués1. » Là-dessus, le dieu étale crûment son despotisme. Au fond, ses sophismes et son impudence sont pour Dryden un moyen de décrier par contre-coup les théologiens et leur Dieu arbitraire. « Un pouvoir absolu, dit Jupiter, ne peut faire de mal. Je n'en puis faire à moimême, puisque c'est ma volonté que je fais, ni aux hommes, puisque tout ce qu'ils ont est à moi. Cette nuit je jouirai de la femme d'Amphitryon, car lors« que je la fis, je décrétai que mon bon plaisir serait << de l'aimer. Ainsi je ne fais point de tort à son mari, «< car je me suis réservé le droit de l'avoir tant qu'elle << me plairait 2. » Cette pédanterie ouverte se change

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temps. Par exemple, Torrismond dit pour s'excuser d'épouser la reine :

1.

2.

Power which in one age is tyranny
Is ripen'd in the next to succession.
She's in possession.

For Kings and Priest are in a manner bound,
For reverence sake, to be close hypocrites.

Fate is what I

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