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S 2. LES MONDAINS.

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Au dix-septième siècle s'ouvre en Europe un genre de vie nouveau, la vie mondaine, qui bientôt prime et façonne les autres. C'est en France surtout et en Angleterre qu'elle paraît et qu'elle règne, pour les mêmes causes et dans le même temps.

Pour remplir les salons, il faut un certain état politique, et cet état, qui est la suprématie du roi jointe à la régularité de la police, s'établissait à la même époque des deux côtés du détroit. La police régulière met la paix entre les hommes, les tire de l'isolement et de l'indépendance féodale et campagnarde, multiplie et facilite les communications, la confiance, les réunions, les commodités et les plaisirs. La suprématie du roi institue une cour, centre des conversations, source des grâces, théâtre des jouissances et des splendeurs. Ainsi attirés l'un vers l'autre et vers le trône par la sécurité, la curiosité, l'amusement et l'intérêt, les grands seigneurs s'assemblent, et du même coup ils deviennent gens du monde et gens de cour. Ce ne sont plus les barons du siècle précédent, debout dans la haute salle, armés et sombres, occupés de l'idée qu'ils pourront bien au sortir du palais se tailler en pièces, et que, s'ils se frappent dans le palais,

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le bourreau est là pour leur couper la main et boucher leurs veines avec un fer rouge; sachant de plus que le roi leur fera peut-être demain trancher la tête, partant prompts à s'agenouiller pour se répandre en protestations de fidélité soumise, mais comptant tout bas les épées qui prendront leur querelle et les hommes sûrs qui font sentinelle derrière le pont-levis de leur château. Les droits, les pouvoirs, les contraintes et les attraits de la vie féodale ont disparu. Ils n'ont plus besoin que leur menoir soit une forteresse. Ils n'ont plus le plaisir d'y régner comme dans un État. Ils s'y ennuient, et ils en sortent. N'ayant plus rien à disputer au roi, ils vont chez lui. Sa cour est un salon, le plus agréable à voir et le plus utile à fréquenter. On y trouve des fêtes, des ameublements splendides, une compagnie parée et choisie, des nouvelles et des commérages: on y rencontre des pensions, des titres, des places pour soi et pour les siens; on s'y divertit et on y profite: c'est tout gain et tout plaisir. Les voilà donc qui vont au lever, assistent au dîner, reviennent pour le bal, s'assoient pour le jeu, sont là au coucher. Ils y font belle figure avec leurs habits demifrançais, leurs perruques, leurs chapeaux chargés de plumes, leurs hauts-de-chausses en étages, leurs canons, et les larges rosettes de rubans qui couvrent leurs souliers. Les dames se fardent, se mettent des mouches3, étalent des robes de satin et de velours magnifiques, toutes galonnées d'argent et traînantes,

1. Voir toutes les pièces historiques de Shakspeare.

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au-dessus desquelles paraît la blancheur de leur poitrine, dont l'éclatante nudité se continue sur toute l'épaule et jusqu'au bras. On les regarde, on salue et on approche. Le roi monte à cheval pour sa promenade à Hyde-Park; à ses côtés courent la reine, et avec elle les deux maît esses, lady Castlemaine et mistress Stewart : « la reine1 en gilet blanc galonné, en jupon court cramoisi, et coiffée à la négligence; mistress Stewart avec son chapeau à cornes, sa plume rouge, ses yeux doux, son petit nez romain, sa taille parfaite. On rentre à White-Hall, « les dames vont, viennent, causant, jouant avec leurs chapeaux et leurs plumes, les échangeant, chacune essayant tour à tour ceux des autres et riant. » En si belle compagnie la galanterie ne manque pas. « Les gants parfumés, les miroirs de poche, les étuis garnis, les pâtes d'abricot, les essences, et autres menues denrées d'amour arrivent de Paris chaque semaine. >> Londres fournit << des présents plus solides, comme vous diriez boucles d'oreilles, diamants, brillants et belles guinées de Dieu; les belles s'en accommodaient, comme si cela fût venu de plus loin. » Les intrigues trottent, Dieu sait combien et lesquelles. Naturellement aussi la conversation va son train. On développe tout haut les aventures de Mlle Warmestré la dédaigneuse, « qui, surprise apparemment pour avoir mal compté, prend la liberté d'accoucher au milieu de la cour. » On se répète tout bas les tentatives de Mlle Hobart, l'heureux

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1. Pepys, 1683. 2. Grammont.

malheur de Mlle Churchill, qui, étant fort laide, mais ayant eu l'esprit de tomber de cheval, toucha les yeux et le cœur du duc d'York. Le chevalier de Grammont conte au roi l'histoire de Termes ou de l'aumônier Poussatin; tout le monde quitte le bal pour venir l'écouter, et, le conte fait chacun rit à se tenir les côtes. Vous voyez que si ce monde n'est pas celui de Louis XIV, c'est néanmoins le monde, et que, s'il a plus d'écume, il va du même courant. Le grand objet y'est aussi de s'amuser et de paraître. On veut être homme à la mode; un habit rend célèbre : Grammont est tout désolé quand la coquinerie de son valet l'oblige à porter deux fois le même. Tel autre se pique de faire des chansons, de bien jouer de la guitare. << Russell avait un recueil de deux ou trois cents contredanses en tablature, qu'il dansait toutes à livre ouvert. Jermyn est connu pour ses bonnes fortunes. << Un gentilhomme, dit Etheredge, doit s'habiller bien, danser bien, faire bien des armes, avoir du talent pour les lettres d'amour, une voix de chambre agréable, être très-amoureux, assez discret, mais point trop constant.» Voilà déjà l'air de cour tel qu'il dura chez nous jusque sous Louis XVI. Avec de pareilles mœurs, la parole remplace l'action. La vie se passe en visites, en entretiens. L'art de causer devient le premier de tous; bien entendu, il s'agit de causer agréablement, pour employer une heure, sur vingt sujets en une heure, toujours en glissant, sans jamais enfoncer, de telle façon que la conversation ne soit pas un travail, mais une promenade. Au retour, elle

continue par des lettres qu'on écrit le soir, par des madrigaux ou des épigrammes qu'on lira le matin, par des tragédies de salon ou des parodies de société. Ainsi naît une littérature nouvelle, œuvre et portrait du monde qu'elle a pour public et pour modèle, qui en sort et y aboutit.

II

Encore faut-il qu'ils sachent causer, et ils commencent à l'apprendre. Une révolution s'est faite dans l'esprit comme dans les mœurs. En même temps que les situations reçoivent un nouveau tour, la pensée prend une nouvelle forme. La Renaissance finit, l'âge classique s'ouvre, et l'artiste fait place à l'écrivain. L'homme revient de son premier voyage autour des choses; l'enthousiasme, le trouble de l'imagination soulevée, le fourmillement tumultueux des idées neuves, toutes les facultés qu'éveille une première découverte se sont contentées, puis affaissées. Leur aiguillon s'est émoussé parce que leur œuvre s'est faite. Les bizarreries, les profondes percées, l'originalité sans frein, les irruptions toutes-puissantes du génie lancé au centre de la vérité à travers les extrêmes folies, tous les traits de la grande invention ont disparu. L'imagination se tempère; l'esprit se discipline : il revient sur ses pas; il parcourt une seconde fois son domaine avec une curiosité calmée, avec une expérience acquise. Il se déjuge et se corrige. Il trouve une religion, un art, une philosophie à reformer ou à

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