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réformer. Il n'est plus propre à l'intuition inspirée, mais à la décomposition régulière. Il n'a plus le sentiment ou la vue de l'ensemble; il a le tact et l'observation des parties. Il choisit et il classe ; il épure et il ordonne. Il cesse d'être créateur, il devient discoureur. Il sort de l'invention, il s'assoit dans la critique. Il entre dans cet amas magnifique et confus de dogmes et de formes où l'âge précédent a entassé pêle-mêle les rêveries et les découvertes; il en retire des idées qu'il adoucit et qu'il vérifie. Il les range en longues chaînes de raisonnements aisés qui descendent anneau par anneau jusqu'à l'intelligence du public. Il les exprime en mots exacts, qui offrent leur série graduée, échelon par échelon, à la réflexion du public. Il institue dans tout le champ de la pensée une suite de compartiments et un réseau de routes qui, empêchant toute erreur et tout écart, mènent insensiblement tout esprit vers tout objet. Il atteint la clarté, la commodité, l'agrément. Et le monde l'y aide; les circonstances. rencontrées achèvent la révolution naturelle; le goût change par sa propre pente, mais aussi par l'ascendant de la cour. Quand la conversation devient la première affaire de la vie, elle façonne le style à son image et selon ses besoins. Elle en chasse les écarts, les images excessives, les cris passionnés, toutes les allures décousues et violentes. On ne peut pas crier, gesticuler, rêver tout haut dans un salon on s'y contient; les gens s'y critiquent et s'y observent; le temps s'y passe à conter et à discuter; il y faut des expressions nettes, un langage exact, des raisonnements clairs et suivis ;

sinon, on ne peut escarmoucher ni s'entendre. Le style correct, la bonne langue, le discours y naissent d'eux-mêmes, et ils s'y perfectionnent bien vite; car le raffinement est le but de la vie mondaine; on s'étudie à rendre toutes les choses plus jolies et plus commodes, les meubles comme les mots, les périodes comme les ajustements. L'art et l'artifice y sont la grande marque. On se pique de savoir parfaitement sa langue, de ne jamais manquer au sens exact des termes, d'écarter les expressions roturières, d'aligner les antithèses, d'employer les développements, de pratiquer la rhétorique. Rien de plus fort que le contraste des conversations de Shakspeare et de Fletcher, mises en regard de celles de Wycherley et de Congreve. Chez Shakspeare, les entretiens ressemblent à des assauts; vous croiriez voir des artistes qui s'escriment de mots et de gestes dans une salle d'armes. Ils bouffonnent, ils chantent, ils songent tout haut, ils éclatent en rires, en calembours, en paroles de poissardes et de poëtes, en bizarreries recherchées; ils ont le goût des choses saugrenues, éclatantes; tel danse en parlant; volontiers ils marcheraient sur leurs mains; il n'y a pas un grain de calcul et il y a plus de trois grains de folie dans leurs têtes. Ici les gens sont posés; ils dissertent ou disputent; le raisonnement est le fond de leur style; ils sont si bien écrivains qu'ils le sont trop, et qu'on voit à travers eux l'auteur occupé à combiner des phrases. Ils arrangent des portraits, ils redoublent les comparaisons ingénieuses, ils balancent les périodes symétriques. Tel

personnage débite une satire, tel autre compose un petit essai de morale. On tirerait des comédies du temps un volume de sentences; elles sont pleines de morceaux littéraires qui annoncent déjà le Spectator1. Ils recherchent l'expression adroite et heureuse, ils habillent les choses hasardées avec des mots convenables, ils glissent prestement sur la glace fragile des bienséances et la rayent sans la briser. Je vois des gentilshommes, assis sur des fauteuils dorés, fort calmes d'esprit, fort étudiés dans leurs paroles, observateurs froids, sceptiques diserts, experts en matière de façons, amateurs d'élégance, curieux du beau langage autant par vanité que par goût, et qui, occupés à discourir entre un compliment et une révérence, n'oublieront pas plus leur bon style que leurs gants fins ou leur chapeau.

III

Parmi les meilleurs et les plus agréables modèles de cette urbanité naissante, paraît sir William Temple, un diplomate et un homme de monde, avisé, prudent et poli, doué de tact dans la conversation et dans les affaires, expert dans la connaissance des temps et dans l'art de ne pas se compromettre, adroit à s'avancer et à s'écarter, qui sut attirer sur soi la faveur et les espérances de l'Angleterre, obtenir les

1. Voyez, par exemple, dans le Beaux Stratagem (Farquhar), act. II, sc. II, le Beau à l'Église.

éloges des lettrés, des savants, des politiques et du peuple, gagner une réputation européenne, obtenir toutes les couronnes réservées à la science, au patriotisme, à la vertu et au génie, sans avoir beaucoup de science, de patriotisme, de génie ou de vertu. Une pareille vie est le chef-d'œuvre d'un pareil monde; des dehors très-beaux et un fond moins beau : en voilà l'abrégé. Ses façons d'écrivain sont conformes à ses maximes de politique. Principes et style, tout se tient en lui; c'est le véritable diplomate, tel qu'on le rencontre dans les salons, ayant sondé l'Europe et touché partout le fond des choses, revenu de tout, particulièrement de l'enthousiasme, admirable dans un fauteuil ou dans une réception, bon conteur, plaisant au besoin, mais avec discrétion, accompli dans l'art de représenter et de jouir. Celui-ci, dans sa retraite à Sheen, puis à Moor-Park, s'amuse à écrire; et il écrit comme parle un homme de son état, c'est-à-dire fort bien, avec dignité et avec aisance, surtout lorsqu'il parle des pays qu'il a visités, des événements qu'il a vus, des divertissements nobles qui occupent ses heures. Il a quinze cents livres sterling de rente, et une belle sinécure en Irlande. Il a quitté les affaires au moment des violents débats, sans vouloir s'engager pour le roi, ni contre le roi, décidé, comme il le dit lui-même, à ne point se mettre en travers du courant, » quand le courant est irrésistible. Il vit pa

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1. Voir surtout An Account of the United Provinces, Memoirs of Gardening.

cifiquement à la campagne avec sa femme, sa sœur, son secrétaire, ses gens, recevant les visites des étrangers qui veulent voir le négociateur de la Triple Alliance, et quelquefois celles du nouveau roi Guillaume, qui, ne pouvant obtenir ses services, vient parfois rechercher ses conseils. Il plante et jardine, sur un sol fertile, dans un pays dont l'air lui convient, parmi des plates-bandes régulières, au bord d'un canal bien droit et flanqué d'une terrasse bien correcte, et il se loue en bons termes, avec toute la discrétion convenable, du caractère qu'il possède et du parti qu'il a pris. « Je me suis souvent étonné, « dit-il, qu'Épicure ait trouvé tant d'âpres et amers « censeurs dans les âges qui l'ont suivi, lorsque la a beauté de son esprit, l'excellence de son naturel, le « bonheur de sa diction, l'agrément de son entre

tien, la tempérance de sa vie et la constance de sa << mort l'ont fait tant aimer de ses amis, admirer de « ses disciples et honorer par les Athéniens 1. » Il a raison de défendre Épicure, car il a suivi ses préceptes, évitant les grands bouleversements d'esprit, et s'installant comme un des dieux de Lucrèce dans un des interstices des mondes. « Quand les philo<< sophes ont vu les passions entrer et s'enraciner « dans l'État, ils ont cru que c'était folie pour les

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1. I have often wondered how such sharp and violent invectives came to be made so generally against Epicurus, by the ages that followed him, whose admirable wit, felicity of expression, excellence of nature, sweetness of conversation, temperance of life, and constancy of death, made him so beloved by his friends, admired by his scholars, and honoured by the Athenians.

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