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leurs couleurs poétiques; les objets, les événements prennent sa teinte, parce qu'ils sont contraints de la traverser. Ici les objets et les événements sont contraints de traverser encore autre chose. Denham n'est pas seulement courtisan, il est Anglais, c'est-à-dire préoccupé d'émotions morales. Souvent il quitte son paysage pour entrer dans quelque réflexion grave; la politique, la religion viennent déranger le plaisir de ses yeux; à propos d'une colline ou d'une forêt, il médite sur l'homme : le dehors le ramène au dedans, et l'impression des sens aux contemplations de l'âme. Les gens de cette race sont par nature et par habitude des hommes intérieurs. Lorsqu'il voit la Tamise se jeter dans la mer, il la compare « à la vie mortelle qui court à la rencontre de l'éternité. » Le front d'une montagne battue par les tempêtes lui rappelle «< la commune destinée de tout ce qui est haut et grand. Le cours du fleuve lui suggère des idées de réformation

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intérieure. «< Ah! si ma vie pouvait couler comme ton onde, si je pouvais prendre ton cours pour modèle « comme je l'ai pris pour sujet, limpide, quoique

«

profond, doux et non endormi, puissant sans fu« reur, plein sans débordements'!» Il y a dans ces

1. My eye, descending from the hill, surveys

Where Thames among the wanton valleys strays :
Thames, the most lov'd of all the Ocean's sons
By his old sire, to his embraces runs ;

Hasting to pay his tribute to the sea,
Like mortal life to meet eternity.

Nor with a sudden and impetuous wave,

Like profuse kings, resumes the wealth he gave.
No unexpected inundations spoil

The mower's hopes, or mock the ploughman's toil,

âmes un fonds indestructible d'instincts moraux et de mélancolie grandiose, et c'en est la plus grande marque que de retrouver ce fonds à la cour de Charles II.

Ce ne sont là pourtant que des percées rares, et comme des affleurements de la roche primitive. Les habitudes mondaines font une couche épaisse qui partout la recouvre ici. Les mœurs, la conversation, le style, le théâtre, le goût, tout est français ou tâche de l'être; ils nous imitent comme ils peuvent et vont se former en France. Beaucoup de cavaliers y vinrent, chassés par Cromwell. Denham, Waller, Roscommon et Rochester y résidèrent; la duchesse de Newcastle, poëte du temps, se maria à Paris; le duc de Buckingham fit une campagne sous Turenne; Wycherley fut envoyé en France par son père, qui voulait le dérober à la contagion des opinions puritaines; Vanbrugh, un des meilleurs comiques, alla s'y polir. Les deux cours étaient alliées presque toujours de fait et toujours de cœur, par la communauté d'intérêts et de principes religieux et monarchiques. Charles II recevait de Louis XIV une pension, une maîtresse, des

But godlike his unweary'd bounty flows ;
First loves to do, then loves the good he does.
O, could I flow like thee, and make thy stream

My great example, as it is my theme!

Though deep, yet clear; though gentle, yet not dull;
Strong without rage, without o'erflowing full....

But his proud head the airy mountain hides
Among the clouds; his shoulders and his sides
A shady mantle clothes; his curled brows

Frown on the gentle stream, which calmly flows;
While winds and storms his lofty forehead beat,
The common fate of all that's high or great.

conseils et des exemples; les seigneurs suivaient le prince, et la France était le modèle de la cour. Sa littérature et ses mœurs, les plus belles de l'âge classique, faisaient la mode. On voit dans les écrits anglais que les auteurs français sont leurs maîtres, et se trouvent entre les mains de tous les gens bien élevés. On consulte Bossuet, on traduit Corneille, on imite Molière, on respecte Boileau. Cela va si loin, que les plus galants tâchent d'être tout à fait Français, de mêler dans toutes leurs phrases des bribes de phrases françaises. « Parler en bon anglais, dit Wycherley, est maintenant une marque de mauvaise éducation, comme écrire en bon anglais, avoir le sens droit ou la main brave. » Ces fats francisés sont des complimenteurs, toujours poudrés, parfumés, « éminents pour être bien gantés. Ils affectent la délica» tesse, font les dégoûtés, trouvent les Anglais brutaux, tristes et roides, essayent d'être évaporés, étourdis, rient, bavardent à tort et à travers, et mettent la gloire de l'homme dans la perfection de la perruque et des saluts. Le théâtre, qui raille ces imitateurs, est imitateur à leur manière. La comédie française devient un modèle comme la politesse française. On les copie l'une et l'autre en les altérant, sans les égaler ; car la France monarchique et classique se trouve entre toutes les nations la mieux disposée par ses instincts et sa

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1. Etheredge dans Sir Fopling Flutter, Wycherley dans Monsieur de Paris.

2. « I was always eminent for being bien ganté. » (Etheredge, Sir Fopling Flutter.)

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constitution pour les façons de la vie mondaine et les œuvres de l'esprit oratoire. L'Angleterre la suit dans cette voie, emportée par le courant universel du siècle, mais à distance, et tirée de côté par ses inclinaisons nationales. C'est cette direction commune et cette déviation particulière que le monde et sa poésie ont annoncées, que le théâtre et ses personnages vont manifester.

VI

Quatre écrivains principaux établissent cette comédie; Wycherley, Congreve, Vanbrugh, Farquhar1, le premier grossier et dans la première irruption du vice, les autres plus rassis, ayant le goût de l'urbanité plutôt que du libertinage, tous du reste hommes du monde et se piquant de savoir vivre, de passer leur temps à la cour ou dans les belles compagnies, d'avoir les goûts et la carrière des gentilshommes. « Je ne suis pas un écrivain, disait Congreve à Voltaire, je suis un gentleman. En effet, dit Pope, il vécut plus comme un homme de qualité que comme un homme de lettres, fut célèbre pour ses bonnes fortunes, et passa ses dernières années dans la maison de la duchesse de Marlborough. » J'ai dit que Wycherley, sous Charles II, était un des courtisans les plus à la mode. Il servit à l'armée quelque temps, comme aussi

1. De 1672 à 1726.

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Vanbrugh et Farquhar; rien de plus galant que le nom« de capitaine » qu'ils prenaient, les récits militaires qu'ils rapportaient, et la plume qu'ils mettaient à leur chapeau. Ils écrivirent tous des comédies du même genre mondain et classique, composées d'actions probables, telles que nous en voyons autour de nous et tous les jours, de personnages bien élevés, tels qu'on en rencontre ordinairement dans un salon, de conversations correctes ou élégantes, telles que les gens bien élevés peuvent en tenir. Ce théâtre, dépourvu de poésie, de fantaisie et d'aventures, imitatif et discoureur, se forme en même temps que celui de Molière, par les mêmes causes, et d'après lui, en sorte que, pour le comprendre, c'est à celui de Molière qu'il faut le comparer.

« Molière n'est d'aucune nation, disait un grand acteur anglais; un jour le dieu de la comédie, ayant voulu écrire, se fit homme, et par hasard tomba en France. Je le veux bien; mais en devenant homme il se trouva du même coup homme du dix-septième siècle et Français, et c'est pour cela qu'il fut le dieu de la comédie. a Divertir les honnêtes gens, disait Molière, quelle entreprise étrange! » Il n'y a que l'art français du dix-septième siècle qui pouvait y réussir ; car il consiste à conduire aux idées générales par un chemin agréable, et le goût de ces idées est, comme l'habitude de ce chemin, la marque propre des honnêtes gens. Molière, comme Racine, développe et compose. Ouvrez la première venue de ses pièces à là première scène venue; au bout de trois réponses,

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