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»Tu veux seule, dis-tu, supporter la tempête : » Contente-toi des maux qui pèsent sur ta tête. >> Comment peux-tu de Dieu soutenir le courroux, Quand tu ne peux souffrir celui de ton époux? » Tu ne vois que l'essai de nos longues misères. » Si j'espérois d'un Dieu fléchir les lois sévères, » Je te devancerois au lieu du jugement,

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J'appellerois sur moi tout son ressentiment; » J'irois, m'humiliant sous sa main vengeresse, » De ton sexe fragile excuser la foiblesse, » De ce sexe imprudent que j'ai dû protéger, » Et que j'ai laissé seul s'exposer au danger.

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Lève-toi, bannissons ces discordes cruelles,

» N'allons pas aux remords ajouter les querelles, » Que la paix, que l'amour consolent nos deux cœurs; » Aidons-nous l'un et l'autre à porter nos douleurs. »

Cette scène pathétique seroit aussi digne du théâtre que de l'épopée; et si l'on excepte une faute remarquable de français que j'ai soulignée (1), on conviendra que ce passage réunit à un degré éminent la beauté des sentimens à celle du langage. Le style de Milton serre de plus près la pensée; mais je crois que s'il eût écrit en français, il lui eût été difficile de mieux

(1) Fixer quelqu'un. On trouve cette faute dans Rousseau et dans quelques autres écrivains; et c'est par cette raison même qu'il convient de la relever partout où elle se trouve. Il faut la proscrire comme on a proscrit activer, utiliser, etc. et autres barbarismes qui tendent à dénaturer la langue.

s'exprimer que son traducteur. Le mérite de la brièveté tient au génie de la langue anglaise et à l'absence de la rime qui exige toujours du poëte quelques sacrifices. Mais il est temps de revenir à Milton.

Depuis l'époque de sa réconciliation avec sa femme, il s'engagea dans toutes les querelles politiques du temps, et ne trouva plus de loisir pour les grands travaux poétiques. Pendant plusieurs années, il ne donna au public que deux petits poëmes intitulés l'Allegro et le Penseroso, qui parurent en 1645, dans une collection de poëmes anglais et latins (1). Ces pièces charmantes sont,

(1) L'Allegro et le Penseroso, l'homme joyeux et l'homme mélancolique. Théobald prétend que le dessein de Milton dans ces deux petits poëmes a été, en décrivant les effets que la contemplation des mêmes objets produit sur deux hommes, l'un dominé par la joie, et l'autre par la mélancolie, de montrer comment les choses empruntent leurs couleurs de la disposition de notre esprit. Le docteur Johnson pense que Milton n'a eu d'autre "but que de représenter ce penchant naturel de l'homme à ne saisir, dans le spectacle varié de la nature, que les accidens et les images qui s'accordent le plus avec les sentimens auxquels son ame est exclusivement livrée. Peut-être le poëte avoit-il l'une et l'autre intention.

Quant au mérite de ces deux poëmes, il doit être éminent, si l'on considère les éloges que leur ont prodigués la plupart des critiques anglais. Après une lecture attentive de ces productions, je n'ai pu partager l'enthousiasme de leurs admirateurs; et je crois que Johnson, dont les jugemens sur Milton n'obtiennent pas une grande confiance en Angleterre, est

sans contredit, les meilleurs poëmes descriptifs qui aient jamais été écrits. Quand Milton n'auroit laissé d'autres monumens de son génie que ces deux productions, son Lycidas et l'Opéra de Comus, ils suffiroient pour rendre son nom immortel. Le public fit peu d'attention à ces ouvrages lorsqu'ils parurent. Ils ont été presque entièrement oubliés pendant un siècle; tandis que les Traités polémiques de Milton, qu'on ne lit plus, contribuèrent à sa fortune et à sa répu¬ tation. Le plus célèbre de ces traités est sa Défense du Peuple anglais, en réponse à celui de Saumaise, intitulé Défense du Roi, qui avoit été écrit sous les auspices de Charles II. On dit que la réponse de Milton étoit si véhémente, et qu'elle produisit un si grand effet, que Saumaise, alors professeur de belles-lettres à Leyde, en mourut de chagrin. La publication de ce traité valut à Milton une récompense de

pourtant le seul qui ait parlé de l'Allegro et du Penseroso avec impartialité.

<< Dans ces deux poëmes, dit-il, les images sont bien choisies et distinguées avec soin; mais la couleur du style n'est pas suffisamment marquée par le poëte. Sa joie n'est pas assez expansive, ni sa mélancolie assez austère. Il est vrai que dans celle-ci il n'y a point de gaîté; mais je crains qu'on ne trouve quelque mélancolie dans sa joie. Toutefois ce son deux nobles efforts d'une imagination poétique.

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Johnson's lives of the poets.

mille livres sterling, ce qui fait une somme vingt fois plus forte que tout ce qu'il a jamais reçu des libraires pour ses ouvrages poétiques réunis. Il fut aussi nommé secrétaire pour langue latine près du protecteur.

la

Ses travaux littéraires et politiques contribuèrent à lui faire perdre la vue. Une goutte sereine obscurcit ses yeux, et il devint totalement aveugle. A cette époque, sa femme mourut en travail d'enfant, et lui laissa trois filles. Il pensa bientôt à un second mariage, et son choix tomba sur Catherine, fille du capitaine Woodcock. Il eut aussi le malheur de la perdre un an après son mariage, par le même accident qui lui avoit enlevé sa première femme.

A l'époque où Charles II monta sur le trône, Milton perdit sa place, et fut obligé de quitter sa maison. Il se réfugia dans un coin obscur de la Cour Barthélemi (Bartholomew Close). Ce fut avec quelque peine que ses amis empêchèrent qu'il ne fût personnellement excepté dans l'acte d'oubli. Pour prévenir l'activité des recherches, et pour gagner du temps, ils s'avisèrent de faire courir le bruit de sa mort, et lui firent même de fausses funérailles. Enfin, la promulgation de l'acte d'oubli fit cesser le danger de Milton et les craintes de ses amis.

De la cour Barthélemi il passa dans la rue

Jewrio, et prit une troisième femme, Elisabeth Minstur, qui appartenoit à une bonne famille de Cheshire.

Il étoit alors âgé de cinquante-deux ans, aveugle, infirme, et avoit perdu la plus grande partie de sa fortune. Mais, ni les infirmités, ni les caprices du sort ne purent affoiblir la vigueur de son génie, et lui faire perdre de vue le dessein qu'il avoit formé depuis long-temps de composer un poëme épique.

En 1665, il termina son grand ouvrage du Paradis perdu à Chalfont in Bucks, où il s'étoit retiré pendant la fameuse peste qui ravagea la capitale de l'Angleterre. Ce ne fut qu'à son retour dans cette ville, en 1667, qu'il publia son nouveau poëme. Il céda la propriété de cet ouvrage à Samuel Simmons, pour la modique somme de cinq livres sterl., à condition toutefois que la même somme lui seroit payée lorsque le libraire en auroit vendu treize cents exemplaires, ainsi qu'à chaque nouvelle édition, jusqu'à la troisième inclusivement. Par cet arrangement, Milton reçut en tout quinze livres, et sa veuve huit livres sterling.

Tel fut, dans sa naissance, le succès d'un ouvrage qui est le plus beau monument littéraire dont l'Angleterre puisse s'honorer; car, malgré la juste sévérité de quelques critiques, ce poëme

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